vendredi 28 février 2014

Chaud devant ...

Le tenir éloigné, le tenir éloigné, il en avait de bonnes lui ! Comme si Vince ne savait pas que Sam jouait les passe-murailles quand l'envie lui en prenait.
Le Dr Vince Mamour m'avait abandonnée sur ses révélations fracassantes comme ça sur mon canapé avec encore toute une foule de questions. L'hôpital l'avait bipé d'urgence pour intervenir sur un malade avec une rupture d'anévrisme. La poisse !
Il était parti en trombe sans m'en dire plus, mais je n'en avais pas fini avec lui loin de là.
Winston vint se pelotonner sur mes genoux.
- Et toi mon vieux, tu en penses quoi de tout ça ? dis-je tout en caressant son pelage gris.
Pour toute réponse, Win souleva les paupières et les referma aussitôt. J'adorais son soutien moral pffff ...
- Si vous voulez mon avis, le blondinet a encore semé le trouble dans votre jolie tête !
Il me suffit de tourner les yeux pour voir Sam confortablement installé dans mon fauteuil préféré.
- Ah non pas question ! Vous vous pointez déjà à mon bureau comme dans un moulin, et maintenant c'est dans mon appart. Dites donc Houdini, on ne vous a jamais imposé de limites quand vous étiez petit ?
Sam fit mine de réfléchir.
- Peut-être mais c'est beaucoup trop loin pour que je m'en souvienne, dit-il en arborant un sourire carnassier. Il vous reste du thé ?
- Ah parce qu'en plus vous comptez vous incruster pour faire la causette ? m'insurgeai-je.
- Évidemment tiens ! Je ne vais pas laisser le sorcier me tailler un costard sans rétablir la vérité.
J'observai Sam et tentai de l'imaginer en costume. il aurait pu être vraiment séduisant mise à part cette tignasse d'indien. Il faudrait vraiment remédier à ce problème, franchement ça gâche son visage dont les traits sont fins et réguliers. Eh là Nora, tu t'égares ma vieille, redescends sur Terre tu veux, y'a un dingue dans ton salon !
- Cela n'aurait pas pu attendre demain ? hasardai-je.
- Certainement pas ! Il vous a fait son numéro de charme sous la pluie, j'espère que vous n'avez pas été dupe Miss Chester. Moi aussi je sais le faire d'arrêter la pluie dehors ! Rien de plus facile.
- En plus vous nous observiez ?! m'énervai-je.
- Vous ne pensiez tout de même pas que j'allais vous laisser toute seule sans surveillance avec l'autre mage noir ! J'ai adoré le moment où vous l'avez traité de Merlin de pacotille, c'était bien envoyé, ricana-t-il en se tapant la cuisse. Vous avez un humour féroce Nora Chester !!
Mon mal de crâne avait repris de plus belle, ce n'était vraiment pas mon jour ...
- Attendez moi là, je vais refaire du thé et me chercher deux cachets d'ibuprofène. Vous me filez la migraine tous les deux.
Je déposai Winston sur le canapé et me levai pour aller à la cuisine. Au passage Sam me détailla de la tête aux pieds. Il devait sûrement imaginer par quel bout il allait me faire rôtir en enfer !
Lorsque je revins quelques minutes plus tard, les places de Sam et Win avaient été permutées. Si bien que le grand brun était confortablement enfoncé dans les coussins de mon canapé, le bras reposant sur le dossier. S'il croyait que je ne le voyais pas venir avec ses gros sabots celui-là !
Je lui tendis un mug et m'installai à mon tour. Sam avait tendance à envahir l'espace avec ses grands bras et ses grandes jambes, ça faisait un peu kraken sur les bords. Son parfum aux effluves de vétiver s'était répandu dans tout le salon.
- Vous savez qu'il y a un autre moyen que l'ibuprofène ou les huiles essentielles pour passer la migraine ? dit-il avec une lueur malicieuse dans le regard.
- Ah bon ? Lequel ? L'acupuncture ?!
- Miss Chester, ça se voit que vous êtes célibataire depuis trop longtemps, soupira-t-il en se penchant vers moi.
Tout à coup la lumière se fit dans mon cerveau, et je rougis comme une pivoine.
Un câlin ?! Avec ce poulpe aux longs cheveux ?! Ca va pas non !!!!!
- Si vous vous proposez pour m'administrer votre remède, je vous garantis que vous allez vous retrouver propulsé de ce canapé en moins de deux ! grondai-je le nez dans ma tasse.
- Bon bon, je n'insiste pas, vous y viendrez de vous même de toute façon, dit-il avec un clin d'oeil.
Ce type me filait des suées, vivement qu'il prenne la poudre d'escampette !
Alors que vous a dit le blondinet à mon sujet ?
- De vous fuir comme la peste !
Sam rit de bon coeur.
- Rien d'étonnant, il fait comme d'habitude, il me dénigre pour obtenir les faveurs des jolies filles à ma place. Qu'a-t-il dit d'autre ?
- Que vous vouliez me faire signer un contrat avec l'autre grand fourchu braisé et que grâce à moi, vous pourriez redevenir humain si je tombais dans vos filets.
- Ruse classique, l'intimidation ! Le blondinet aime jouer sur la corde sensible. Mais est-ce qu'il vous a dit qu'il pratiquait la magie noire pour tenter par tous les moyens de faire revenir sa bien-aimée d'entre les morts ?! Vous a-t-il précisé que pour cela il a besoin du sang bien particulier d'une femme vivante qui l'aimerait en retour ?
La mâchoire m'en tomba. Celle-là je ne l'avais pas vue venir !
- Nora ma beauté, vous êtes terriblement naïve en matière de créatures célestes et obscures. Il va falloir combler vos lacunes sinon vous allez vous faire embobiner par le premier gars à l'allure angélique qui présente bien.
- Sam, seriez-vous en train de me dire que vous êtes le gentil et lui le méchant ?
Il s'approcha beaucoup trop près de moi, ses yeux noirs avaient quelque chose d'hypnotique.
- Je dis simplement que vous devriez éviter de tomber toute cuite dans ses bras, vous pourriez ne pas vous en relever, susurra-t-il à mon oreille.
- Moralité, je dois me méfier de vous deux !
- Ce serait salutaire pour vous mais je crois que nous serons tout de même appelés à nous côtoyer. Très étroitement, ... vous ... et ... moi.
Il me lança un regard à faire fondre un iceberg et s'éclipsa.

A suivre ...

jeudi 27 février 2014

Révélations

J'avais continué les quelques centaines de mètres qu'il me restait à parcourir à pied, j'avais besoin de m'éclaircir les idées. Vince avait repris sa voiture, il m'attendait déjà au pied de l'immeuble. Il me suivit sans un mot jusqu'à l'appartement.
Winston guettait mon retour derrière la porte, je l'entendis miauler quand je tournai la clé dans la serrure. Il se faufila pour aller se frotter contre le pantalon de Vince. Super ! Si Win commençait à me faire des infidélités, où allait-on ? Je vous le demande !
- Les chats et moi c'est une amitié de longue date, dit-il en souriant.
- Winston pousses-toi de là, tu m'empêches de passer, m'agaçai-je.
Monsieur chat avait en effet décidé de s'étaler comme une carpette au milieu de l'entrée pour que mon invité d'une heure (et pas plus hein !) lui gratouille le ventre. Bah voyons ! Espèce de traître !
- Vous l'avez appelé Winston en hommage à Churchill ? s'étonna-t-il.
- Non à cause de Charlie Winston ! Rien à voir !
Il éclata de rire.
- En effet, ce n'est pas du tout le même style.
J'accrochai mon ciré à la patère de l'entrée, Vince m'imita.
- Allez m'attendre dans le salon, je vais préparer du thé.
Il hocha la tête et partit vers le canapé avec Win qui ne le quittait pas d'un millimètre.
Lorsque je revins avec deux mugs fumants, mon matou était vautré sur les genoux de Vince. Je tendis une tasse à mon invité qui effleura au passage le bout de mes doigts. Une délicieuse sensation de chaleur envahit alors ma main toute entière. Et bien si un simple contact de 5 mm² faisait cet effet, je n'osais imaginer ce que pourrait être une étreinte avec ce type ! Caliente !Je rougis toute seule de mes bêtises. Je n'étais pas là pour plaisanter mais pour savoir ce que fabriquait le docteur Clark avec ses patients.
Je pris place dans le canapé à côté de lui. Il me fixait avec une telle intensité que ça en devenait presque gênant. Je décidai de casser l'ambiance.
- Alors je vous écoute, dites moi ce que vous faisiez dans la chambre de ce patient.
- Je testais un sortilège de ma création pour voir si ce monsieur avait une chance de s'en sortir.
- Mais encore ? dis-je suspicieuse.
- Je ne m'occupe pas que la maladie d'Alzheimer, la neurologie traite toutes les atteintes du cerveau aussi. L'homme que vous avez vu, a été victime d'un grave accident de la route il y a un mois, son cerveau a gravement été endommagé. Depuis il est tombé dans le coma. Malgré une opération pour diminuer la pression intracrânienne, aucune amélioration n'a été constatée.
- Et donc vous avez fait un petit tour de passe-passe pour voir si vous pouviez le remettre sur pied ?
- En quelque sorte oui.
Je hochai la tête, je sentais que tous mes arguments allaient tomber à la l'eau. Une intuition comme ça ...
- Quelles sont ses chances de s'en sortir ?
- Infimes je l'avoue, c'est pour cela que j'ai tenté cette incantation. Un peu comme une dernière chance ...
- Vous faites ça souvent ? l'interrogeai-je.
- Les sortilèges de ce genre sont juste réservés pour les cas désespérés, je ne les utilise pas tous les jours si c'est ce que vous sous-entendez.
- Je vois. Et pour ce type, ça a marché ?
- Non je n'ai pas eu le temps de terminer, vous m'avez interrompu au moment crucial.
- Vous pourrez retenter votre chance plus tard alors.
- Cela m'étonnerait fort, soupira-t-il.
- Pourquoi donc ?
- Le patient est mort, dit-il en braquant ses yeux verts sur moi.
J'étais mal.
- Vous pensez que c'est de ma faute ?
- Non.
- A vous voir, on dirait pourtant le contraire. Vous avez l'air plutôt contrarié.
- Je suis surtout en colère contre moi parce-que j'ai trop tardé à intervenir sur lui. En aucun cas, je ne vous tiens pour responsable de ce décès.
Manquerait plus que ça en même temps !
Je le voyais tripoter nerveusement sa tasse, d'habitude, il avait l'air beaucoup plus serein. Son parfum venait chatouiller mes narines. Difficile de se concentrer sur mon interrogatoire dans ces conditions. Un voile de tristesse venait d'envahir son visage, voilà qui ne me facilitait pas la tâche.
- Et pour l'Alzheimer, votre médicament miracle, c'est de la science ou une potion magique de votre crû ?!
- Un remède fabriqué par mes soins.
- Vos soins de médecin ou de  ,,, ?
- De sorcier ! C'est bien ce que vous voulez me faire dire depuis le début. Mon médicament ne vient pas d'une industrie chimique humaine ! lâcha-t-il.
Et maintenant la question qui fâche.
- Vous n'avez pas l'impression de vous prendre pour Dieu à intervenir comme ça sur des moribonds ?
- Je fais mon boulot de médecin, peu importe la méthode que j'emploie, seul le résultat compte. Sauver des vies c'est l'essentiel.
- Vince, vous pratiquez la sorcellerie pour soigner des humains, ça n'a rien à voir avec la médecine ! m'insurgeai-je.
- C'est une science ... occulte, Nora la cartésienne !
La tension devenait palpable, Winston venait de décamper vers la chambre.
- Et depuis quand jouez-vous à l'apprenti sorcier ?! enfonçai-je le clou.
- Je ne joue pas, je suis né comme ça. C'est génétique, tous mes ancêtres étaient des sorciers.
- Tous aussi recommandables que vous ?
Je le poussai volontairement dans ses retranchements, je voulais voir ce qu'il avait dans le ventre.
- Pas forcément non. Et pour votre gouverne, je n'ai pas toujours été très recommandable, mais j'essaye de m'améliorer. L'immortalité fait qu'on a tout le temps de se repentir et de changer de voie si nécessaire.
Aller Nora, prends toi ça dans les gencives.J'en restai muette. Pour me donner une contenance, j'ingurgitai la moitié de ma tasse de thé. Vince me toisait, je sentais qu'il avaient envie de me foutre des tartes et de quitter l'appartement en claquant la porte. Pourtant il ne le fit pas.
- Vous n'êtes pas mortel ? repris-je.
- Non, je n'ai pas ce privilège et croyez moi, je préfèrerais pouvoir mourir, l'éternité est longue et souvent douloureuse à vivre.
Il approcha son visage du mien.
- Dites moi, vous êtes toujours aussi brusque avec vos patients Miss Chester ?
Oula je l'avais agacé, on en revenait à Miss Chester et plus à Nora, ça sentait le roussi.
- Absolument pas. Alors pourquoi un tel acharnement dans votre interrogatoire ?
- Pour la bonne raison que vous n'êtes pas un de mes patients !
- Vous pourriez vous montrer plus amicale tout de même, je ne suis pas votre ennemi. Bien au contraire.
- Vous n'êtes pas mon ami non plus Vince, dis-je en plissant les yeux.
Je ne vous connais pas, j'ignore tout de vous à part les infos que j'ai soutirées au bureau du personnel. Un dossier bien net, rien à redire. Mais quel est le vrai du faux dans tout ça ?
Je l'ignore.
- Vous me traitiez de menteur tout à l'heure mais vous n'avez pas hésité à fouiller dans des dossiers classés confidentiels pour mener votre petite enquête. C'est du beau !
Il passa une main dans ses cheveux encore humides à cause de la pluie. Il n'avait pas bu une goutte de thé, sa tasse était restée pleine.
- J'aime bien savoir à qui j'ai affaire surtout quand un grand type comme vous insinue que j'ai des problèmes par dessus la tête qui nécessiteraient que je lui raconte tout bien religieusement. Honnêtement, vous n'avez pas la gueule d'un curé !
- Ni la vocation, je vous rassure ! J'aime beaucoup trop les femmes pour rester célibataire jusqu'à la fin des temps.
Info supplémentaire, il n'était pas gay ! Dis donc Nora, tu dérailles ma vieille, qu'est-ce que ça peut te faire qu'il soit attiré par les femmes ou pas hein ?!
- Et coureur de jupons par dessus le marché ! grinçai-je
- Ne me faites pas plus noir que je ne le suis Nora. Et puis mes aventures sentimentales ne vous regardent pas. Je ne suis pas votre patient comme vous l'avez si justement mentionné.
Ok mon vieux, tu veux le jouer sarcastique et bien jouons !

- Vous avez tout à fait raison. Cela dit nous avons une connaissance commune et je ne parle pas de Suzie ...
Il me lança un regard interrogatif.
- Qui donc ?
- Un grand brun ténébreux à cheveux longs, un dégaine de bad boy et un sex-appeal à faire rougir les grands-mères.
Vince devint livide.
- Ne me dites pas que Sam est venu vous voir ? dit-il paniqué.
- Justement si, à plusieurs reprises.
- Que voulait-il ?
- Officiellement mener une thérapie mais il a tendance à se croire un peu tout permis, je l'admets volontiers.
Vince Clark tourna vers moi un regard rempli d'inquiétude.
- Vous ne vouliez pas me croire quand je vous disais que vous aviez des problèmes, et là je peux vous dire que Sam en est un gigantesque. Nora, je vous l'annonce, vous êtes dans la merde !
- M'enfin qu'a-t-il donc de si terrible mis à part le fait qu'il se prend pour un ange déchu ?! Il est dérangé mais bon plutôt sympa au demeurant.
- Nora, je croise Sam régulièrement depuis des siècles, il est nocif, dangereux et manipulateur. Il recrute les âmes pour son patron. Une fois que le contrat est signé vous êtes fichue. Il a un quota bien spécifique à remplir, un million d'âmes à récolter et au bout du compte, il sera libéré et redeviendra humain quand son chiffre sera atteint.
- C'est du délire Vince ! m'écriai-je.
- Pas tant que ça quand on sait que je suis un sorcier et vous un ... enfin bref, évitez le comme la peste. Et moi je ferai en sorte qu'il se tienne éloigné !



A suivre ...




mercredi 26 février 2014

Parole de sorcier

L'après-midi touchait à sa fin. Je n'allais tout de même pas passer la nuit dans mon bureau même si je ressentais une lassitude monstrueuse. J'étais tellement épuisée que je n'avais même pas râlé après Sam. Je filais vraiment un mauvais coton. A ce rythme, j'allais bientôt m'habituer aux visites-éclairs de cet énergumène. Il avait été d'une douceur exemplaire tout à l'heure, étonnant pour lui qui jouait sans arrêt les provocateurs.
Je ne voulais absolument pas croire qu'il puisse être un ange déchu ou une créature étrange, cela n'avait aucun sens. Tout cela n'existait pas de toute manière, foutaise ! Sam devait avoir la personnalité dérangée tout comme le reste d'une bonne partie de l'humanité. Le hasard avait fait qu'il m'était tombé dessus mais au-delà de ça, je dirais qu'il n'y avait pas grand chose de surprenant chez lui. Hormis sa façon de traverser les murs dont je n'avais pas encore pigé le truc !
Je revêtis mon armure en plastique jaune pour affronter une fois de plus le mauvais temps qui ne cessait pas. Ras le pompon de ce pays toujours sous l'eau ! J'avais l'impression que mes bras pesaient une tonne, je trainais mon sac à main tel un véritable boulet. Je me sentais l'âme vide d'un fantôme. Mes certitudes en la médecine et en la science avaient été littéralement balayées en même pas 5 minutes. Vince pratiquait la sorcellerie. Je comprenais maintenant pourquoi les résultats de ses essais cliniques étaient aussi miraculeux. En fait, il trichait depuis le début. Ce n'était pas un médecin mais un charlatan oui ! De colère je mis un coup de pied dans une cannette de bière abandonnée sur le trottoir par un clochard. De quel droit pouvait-il jouer avec la santé et l'espoir des gens ?! Avec ses sortilèges à deux balles, il ne leur faisait sûrement pas plus de bien que moi je ne m'appelais Mère Thérèsa. Il devait très certainement falsifier ses résultats. Comment avait-il pu embobiner tant de monde dans sa combine ? Je ne comprenais pas comment autant de médecins émérites avaient pu se laisser embarquer dans une telle mascarade. Il avait dû les envoûter pour leur faire croire à toutes ces conneries.
La pluie ruisselait sur mon visage quand Sa Lotus grise vint s'arrêter à ma hauteur. Il me restait moins d'un kilomètre à parcourir avant d'arriver chez moi et là j'étais trop crevée pour piquer un nouveau sprint sous une averse bouillonnante. La vitre du conducteur s'était abaissée.
- Nora, montez, vous êtes trempée !
- Pas question ! aboyai-je.
- Ne faîtes pas l'enfant, je suis en train de bloquer toute la circulation.
Les klaxons se faisaient déjà entendre mais je continuais à marcher droite comme un i.
- M'en fiche, je ne vais pas dans la voiture d'un fou dangereux qui joue aux apprentis sorciers, criai-je à travers le rideau de pluie qui s'abattit sur moi.
La Lotus s'arrêta net au milieu de la chaussée. Vince en descendit, laissant le moteur tourner et la portière grande ouverte. En trois enjambées, il fut à ma hauteur. Il me toisa de ses grands yeux verts qui reflétaient le danger à 10 bornes à la ronde. Il poussa un énorme soupir.
- Nora que puis-je faire pour vous convaincre de ma bonne foi ?
La pluie dégoulinait sur son visage et mon coeur tambourinait de rage.
- Rien ! Dégagez de mon chemin ! J'ai horreur d'être prise pour une imbécile, vous n'êtes qu'un menteur.
- En quoi vous ai-je menti ? s'étonna-t-il.
- Vous ne soignez pas réellement les gens, vous n'êtes même pas un médecin digne de ce nom. Vous me dégoûtez, vous jouez avec la vie des patients, avec l'espoir des familles qui placent leur confiance en vous, mais vous n'êtes qu'un imposteur, un mythomane. Il n'y a pas plus de médicament prometteur que de neurologue compétent dans toute cette histoire.
- Vous ne savez rien de moi ni de mes pratiques. Nora ne soyez pas bornée ! Laissez moi au moins m'expliquer sur ce que vous avez vu.
Vince réduisit l'espace entre nous deux. Son regard se faisait suppliant.
- Merlin de pacotille ! Je n'ai rien à faire avec vous, c'est au conseil de l'ordre des médecins et devant la justice qu'il faudra prononcer vos beaux discours pour vous en sortir.
Je levai le menton vers lui, une lueur de défi dans les yeux.
- Oh et puis bon sang, vous l'aurez voulu ! gronda-t-il
Il claqua des doigts et tout à coup les gouttes de pluie restèrent en suspension, les passants se figèrent dans leur démarche, les voitures stoppèrent comme dans un arrêt sur image. Vince avait arrêté le temps.
J'étais abasourdie. J'en restai coite.
- Ne me traitez plus jamais d'incompétent. Je fais de mon mieux avec les moyens dont je dispose. Et ne me traitez plus jamais de Merlin, c'était un vieux con et là c'est vraiment insultant. Surtout venant de vous !
Il me fallut quelques secondes pour prendre la mesure de ce qui était en train de se passer autour de moi. Toutes mes certitudes étaient ébranlées.
Vince reprit.
- Nora le danger ne viendra pas de moi, je peux vous l'assurer. Je suis vraiment désolé de vous avoir effrayée à ce point, mais il faut me croire je ne fais de mal à personne. Je ne suis ni un monstre, ni notre ennemi, s'il vous plait, donnez moi une chance de tout vous expliquer.
Il posa une main sur mon épaule en me fixant de ses prunelles émeraudes.
J'étais désarmée et je voulais comprendre.
- Très bien je vous donne une heure pour tout me raconter, pas une minute de plus !
- C'est bien plus que je ne l'aurais espéré, dit-il soulagé.
- Allons à mon appartement, vous connaissez le chemin de toute manière. Oh et puis remettez moi tout ce monde en marche, ajoutai-je en désignant les passants figés sur le trottoir.
Il me sourit et claqua à nouveau des doigts. Les klaxons reprirent leur concert strident.

A suivre ...

lundi 24 février 2014

Toutes les vérités ne sont pas bonnes à entendre ...

Je ne me considérais pas comme une sportive mais avec le sprint que je venais de piquer (malgré le café qui m'avait brûlé les pieds), je venais de pulvériser le record du monde du trouillomètre à zéro ! Nora, tu as la médaille d'or des situations pourries, stressantes, et totalement incroyables. Bravo ma vieille !
Je passai comme une flèche au secrétariat de psycho en demandant à Nancy, la secrétaire, de bien vouloir annuler toutes mes consultations de l'après-midi.
- Mais vous ne pouvez pas faire ça Miss Chester, des patients vous attendent déjà !
- Cas de force majeure Nancy ! Je ne peux pas rester ici une minute de plus, m'écriai-je quasi hystérique.
Reprends-toi Nora, reprends-toi. Tu as beau être psy, tu vas vraiment passer pour une dingue et c'est toi qui vas te retrouver dans l'aile Est de l'hosto avec la belle chemise blanche qui s'attache dans le dos.
Nancy me regarda avec des yeux ronds comme des soucoupes, elle n'était pas habituée à me voir perdre mon flegme.
Je me penchai au dessus de son comptoir pour lui chuchoter à l'oreille :
- Grippe intestinale sévère Nancy, je dois décamper vite fait sinon je ne réponds plus de rien.
- Ah vous m'avez fait peur Miss Chester ! J'ai cru que vous aviez croisé un fantôme dîtes donc, ajouta-t-elle en riant. Aller, filez vous soigner, je vais m'arranger avec vos patients.
- Merci Nancy, vous êtes une perle, lui répondis-je en esquissant un sourire.
Je passai en coup de vent dans mon bureau pour récupérer mes effets personnels, j'enfilai à la hâte mon ciré jaune. Forcément, pour changer un peu, il pleuvait toujours des seaux d'eau dehors.
En franchissant la porte, je manquai de me télescoper dans Suzie.
Elle avait l'air remontée comme un coucou suisse et moi je n'étais pas d'humeur à écouter ses sarcasmes et autres remontrances.
- Ah bien te voilà, tu finis quand même par sortir de ta tanière. Je te cherche depuis des heures !
- Et tu as fini par me trouver. Qu'est-ce que tu veux ? lançai-je exaspérée.
- Oula tout doux ! Ce n'est pas parce-que tu as mis le grappin sur l'un des plus beaux médecins de l'hôpital qu'il te faut croire au-dessus de tout le monde maintenant, grinça-t-elle.
- Pfff ... Bon c'est tout ce que tu voulais ? Me balancer ta jalousie à la figure attendra un autre jour si tu veux bien. Figures-toi que je suis pressée  !
- Tu cours te jeter dans ses bras ? ironisa-t-elle.
- Bien sûr, ça ne se voit pas que je suis comme une chienne en chaleur ?!
Suzie faillit s'étrangler avec sa salive.
- Qu'est-ce qui te prend ? Je ne t'ai jamais vue aussi énervée ! s'étonna-t-elle.
- Il me prend que j'ai la gastro et que si tu ne t'écartes pas de mon chemin tout de suite, je te vomis dessus ! lui aboyai-je après.
Suzie s'écarta du passage comme si j'avais la peste. Je partis donc à grandes enjambées sans me retourner. Je franchis presque les portes vitrées coulissantes de l'hôpital en courant. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas inventer pour pouvoir quitter le boulot en pleine journée sans fournir d'explication à rallonge !
Un coup de chance pour moi, un taxi venait de déposer quelqu'un, j'en profitai pour grimper à bord. Je jetai un coup d'oeil derrière moi et j'aperçus Vince devant l'entrée principale de l'hôpital, les bras ballants, il venait de me louper de peu.
Tant mieux pour moi, je n'avais aucun envie de lui parler, il fallait d'abord que je tente d'analyser ce que j'avais vu.
Je demandai au taxi de me déposer à mon cabinet et non pas à mon appartement. J'avais un mal de crâne épouvantable.
Je pénétrai dans mon bureau et allumai juste une veilleuse histoire de voir suffisamment clair pour faire un mélange d'huiles essentielles de menthe et de lavande. Je branchai le diffuseur et m'affalai sur le divan en espérant que mon mal de tête allait vite passer.
- Alors Miss Chester, pas de déhanché du tonnerre aujourd'hui ?!
Je sursautai sur le canapé.
- Sam, vous arrive-t-il de vous annoncer de temps à autre ?
- Rarement, avoua-t-il. J'adore surprendre les personnes auxquelles je rends visite.
- Je vois, marmonnai-je.
Il était installé sur le fauteuil que j'occupais habituellement lors de mes séances de travail. Les jambes croisées, il attendit patiemment que je décroche une parole.
- Bon alors vous allez me dire ce qui vous arrive ou je dois vous passer au détecteur de mensonge Miss Chester ?
- Il ne m'arrive rien du tout. J'ai seulement une migraine carabinée.
- Mais bien sûr, et la marmotte plie le choco dans le papier alu ! Crachez la votre valda, je n'ai pas toute l'éternité à vous accorder.
- Vous savez que vous feriez un piètre thérapeute vous n'avez aucune patience !
- Mais si j'en ai tout plein ... quand je veux ! Sauf que là, visiblement ça urge, vous êtes blanche comme un lavabo, à croire que vous avez frôlé la crise cardiaque. Et comme ce n'est pas dû à moi ... enfin pas cette fois, j'en déduis que c'est à cause de l'autre albinos. Pas vrai ?!
- Gagné, vous avez le droit de revenir en deuxième semaine !
- Alors il a fait quoi pour vous mettre dans cet état le brillant docteur Clark ? insista-t-il.
- Je l'ai vu faire des trucs bizarres avec un patient, chuchotai-je.
- Mais encore ?
Il voulait vraiment me faire cracher le morceau jusqu'au bout !
- Ok ! Je l'ai entendu réciter des trucs bizarres dans une langue que je ne connais même pas et faire des signes cabalistiques ! Manquait plus que les épingles et on se serait cru dans un rite vaudou.
- Je comprends mieux l'état de choc. Je ne pensais pas que ça vous affecterait autant, mais si je vous l'avais dit, vous ne m'auriez pas cru. Il vous faut la preuve par l'exemple à vous !
Sam effleura mes cheveux du bout des doigts. Quelle familiarité je rêve !
Je grognai. Il remballa donc sa main et croisa les bras, j'entendis sa veste de cuir craquer. Il réprima un rire.
- Et maintenant que je suis morte de trouille, je suis censée faire quoi ?!
- Fuir c'est déjà fait visiblement. Lui parler pour en apprendre davantage ?
- Ca va pas non, vous êtes barge ! Je n'ai rien à lui dire.
- D'après vous, quelle est la nature de Vince ? dit-il gentiment.
- Sorcier ou un truc dans le genre !
- Bonne déduction Watson ! éclata-t-il de rire.
- Je ne pensais même pas que ça existait en vrai, soupirai-je.
Je sentis que Sam s'approchait de ma tête, je percevais son souffle près de mon oreille.
- Alors maintenant, avez-vous aussi une idée de ma nature, Nora ? murmura-t-il.
- Vous êtes quelqu'un de pas très catholique ! m'esclaffai-je.
- Poursuivez ...
Je sentais qu'il était tout à fait sérieux.
- Je n'en sais fichtre rien !
Je tentais de m'en sortir par une pirouette mais lui comme moi, savions que je tournais autour du pot.
- Nora ???
- Vous un ange déchu ?! Pfff je n'y crois absolument pas !
- Pourtant vous devriez ma beauté ...
Rhooo mais il commençait à prendre ses aises en plus, quel casse-pieds !
- Franchement vous n'avez pas la tête d'un type qui a été viré du paradis par Dieu pour aller en enfer servir le grand gars à la queue fourchue qui passe son temps dans la braise rougeoyante.
- Quelle vision manichéenne des choses ! Nous en reparlons plus tard, vous n'êtes pas apte à tout encaisser aujourd'hui de toute manière.
- C'est cela, traitez-moi de faible femme pendant que vous y êtes !
- Je ne me permettrais pas, gloussa-t-il.
Je poussai un énorme soupir.
La chaine hifi se mit en route toute seule alors qu'elle n'était même pas branchée.
Un courant d'air avait remplacé Sam.

A suivre ...

dimanche 23 février 2014

Docteur mais bien sûr ...

Jeudi matin 10h00.
Je marchais de long en large dans mon bureau.
J'avais pesé le pour et le contre toute la nuit en me demandant si je n'allais pas faire une bêtise en prenant un café avec le Dr Clark.
Qu'avait bien voulu dire Sam en insinuant que Vince n'était pas un vrai médecin ? J'avais beau retourner tous les éléments que je possédais dans tous les sens, je ne voyais pas où les choses clochaient. J'avais fait des recherches sur internet pour voir si je trouvais des articles sur lui dans la littérature scientifique. J'en avais trouvé une bonne quantité à propos d'un essai clinique qu'il avait mené dans un hôpital de New York avant de venir s'installer au Royaume Uni. Les résultats de cet essai avaient été plus que prometteurs. Son protocole avec son tout nouveau médicament semblait relever du miracle, 85 % de ses patients avaient vu leur état s'améliorer de façon spectaculaire. Alors poussée par davantage de curiosité, j'étais arrivée tôt à l'hôpital ce matin. J'avais graissé la patte de la secrétaire qui s'occupe des dossiers du personnel histoire de pouvoir jeter un oeil à celui de Vince. S'il y avait une faille dans ses diplômes, un élément bizarre apparaîtrait forcément quelque part. Heureusement que Bridget, la secrétaire, ne résistait pas longtemps à un ballotin de chocolat noir. J'avais donc pu consulter son dossier à loisir.
Né en 1976 à Boston. Études de médecine à New York où il sort major de sa promotion. Premier emploi offert sur un plateau dans la même ville où il reste jusqu'en 2012. De là il exerce à Londres, nouvel essai clinique encourageant sur la maladie d'Alzheimer. Puis en 2014, recrutement par l'hôpital de Cambridge où on lui propose le poste de chef de service de neurologie.
Que du politiquement correct. Voilà qui n'éclairait pas davantage ma lanterne. Je pris donc ma pause à 12h00 et décidai de passer directement à l'offensive. Direction le bureau du docteur Clark !
Je pris soin d'emporter avec moi deux gobelets de café pris à la machine automatique du rez de chaussée. J'allais tant bien que mal toquer à la porte de son bureau. Aucun patient dans la salle d'attente, il devait avoir fini ses consultations. Aucune réponse. J'arborai mon plus beau sourire et retournai vers la réception du service de neuro. La secrétaire avait aussi déserté les lieux. Un écriteau affichait retour à 13h00.
Me voilà bien avec mes deux cafés. j'avalai le mien histoire de me libérer une main. Je parcourus les couloirs du service de neurologie à sa recherche. Je croisai une infirmière qui par chance, m'indiqua qu'il était allé faire la tournée quotidienne de ses patients.
- Logiquement il doit être au 3e étage, chambre 304, m'informa la grande brune en uniforme qui me faisait face.
- Merci bien.
- Surtout ne faites pas trop de bruit avec le Dr Clark. Le patient qui est dans cet chambre, se trouve dans un état critique.
Elle me fit un clin d'oeil entendu et puis repartit au bureau des infirmières au bout du couloir.
Visiblement, le colloque de mardi avait déjà fait circuler son lot de ragots. Je n'allais tout de même pas sauter sur Vince Clark dans la chambre d'un patient si c'est ce que cette grande perche insinuait. Et puis d'abord, j'étais habillée sous ma blouse, moi ! Ce qui n'était pas toujours forcément le cas de Suzie, hum ....
J'arrivai donc devant la porte de la chambre 304. Je ramenai une mèche de cheveux derrière mon oreille droite, histoire de me donner une contenance. J'avais toujours le second gobelet de café à la main.
Je m'apprêtais à frapper à la porte lorsque je m'aperçus qu'elle était entrebaillée. De ce que je pouvais en voir, la pièce était plongée dans la pénombre, juste une veilleuse au dessus du lit donnait un peu de lumière. Le moniteur cardiaque du patient bipait régulièrement.
Vince était de dos. Avec sa grande blouse blanche, il semblait immense
Je supposai qu'il vérifiait le dossier du patient, visiblement il lisait quelque chose.
Tout à coup je l'entendis marmonner dans un langage inconnu. Je restai ainsi à l'écouter quelques minutes complètement médusée. Il était en train de réciter des espèces d'incantations et de tracer des signes cabalistiques dans l'air. J'en eus le souffle coupé et lâchai le café sur le sol.
Décidément rien ne me tenait dans les mains !
Le bruit fit sursauter Vince qui se retourna aussitôt. Comprenant que j'avais vu ce que je n'étais pas censée voir, il fit une grimace comme quelqu'un prit sur le fait avec les doigts dans le pot de nut.
Sam avait donc raison sur un point. Vince ne pratiquait pas que de la médecine, Mais qu'est-ce qu'il pouvait faire à ce pauvre malade allongé sur son lit d'hôpital ?
Mon imagination cavalait mais mes jambes furent plus rapides que mon cerveau, je m'enfuis en courant sans me retourner comme si j'avais le diable à mes trousses.

A suivre ...

samedi 22 février 2014

Plates excuses

Mais qu'est-ce que c'est que cette habitude de toujours fonctionner par sous-entendus ? Ces deux là sont vraiment agaçants, que ce soit le blond ou le brun, tous à mettre dans le même panier ! J'avais l'impression de jouer dans un très mauvais film dont le fil conducteur m'échappait complètement. Et puis alors cette manie d'apparaître et de disparaître en deux secondes m'énervait au plus haut point.
Je te donne un indice et je te laisse mariner pendant des jours comme un chien à qui on donne un os à ronger. Heureusement que j'avais un soupçon de sens de l'humour !
Le téléphone sonna. Un nouveau patient qui souhaitait prendre rendez-vous. J'attrapai mon agenda sur le bureau.
- Je peux vous proposer un créneau vendredi matin à 11h00 si cela vous convient.
- Parfait, répondit-il d'une voix chaleureuse.
- Votre nom s'il vous plait ?
- Van Helsing
- Et votre prénom ?
- Gabriel.
- Pardon ????? m'écriai-je.
- Oui vous avez bien entendu. A vendredi Miss Chester.
La communication fut interrompue.
Non mais là on naviguait en plein délire, c'était la quatrième dimension et j'allais me réveiller. Vite !
Bon encore un dérangé qui voulait faire une blague, ce n'était sûrement pas sa véritable identité. Je tentais de rationaliser les choses mais au point où j'en étais, je sentais qu'un individu indésirable allait encore s'accrocher à mes baskets. Enfer et damnation ...
Avec un peu de chance personne ne viendrait à 11h00 vendredi. Des frissons me parcoururent le dos, franchement je les cumulais depuis quelques jours. Un chasseur de vampires maintenant et puis quoi encore ?!
Je décidai de rentrer. De toute façon, je n'avais plus de patients à voir pour aujourd'hui. Je parcourus à nouveau mes 2 kms sous la pluie. Il faudrait que je pense à faire un détour par le garage de Mike histoire de lui botter les fesses pour qu'il travaille plus vite. J'en avais marre de finir comme une serpillère tous le jours depuis bientôt deux semaines.
J'arrivai chez moi, dégoulinante.
Un bouquet de fleurs attendait sagement mon retour sur le paillasson. Une carte l'accompagnait.
" Désolé pour le malentendu d'hier soir. Toujours fâchée ???  V. "
Et comment ! Bien sûr que j'étais toujours furax ! Il croyait qu'il suffisait de m'envoyer un bouquet de mes fleurs préférées pour que je ne lui en veuille plus ?
D'ailleurs comment savait-il pour les roses blanches ?
Encore une énigme à résoudre. Punaise j'étais payée pour écouter les problèmes des gens et non pas pour qu'on vienne m'en créer de supplémentaires.
Je poussai un soupir à fendre l'âme, j'étais épuisée.
Winston m'attendait derrière la porte d'entrée, il venait chercher une gratouille derrière les oreilles et surtout réclamer son dû. Sa gamelle était vide. Un vrai ventre sur pattes ce chat !
Je m'empressai donc de nourrir mon fauve et de mettre les fleurs dans l'eau. Bon j'étais en colère contre Vince mais je n'allais quand même pas laisser crever de soif de pauvres fleurs innocentes. Je n'étais pas vache à ce point là !
Je décidai de m'accorder un bon bain chaud pour me détendre et de me préparer un plateau repas que je mangerais en consultant mes mails.
Installée confortablement je grignotai un sandwich tout en faisant du ménage dans mon courrier. Pub, pub et encore pub.
Ah tiens, un message de Vince Clark. Qu'est-ce qu'il me voulait encore celui-là ? L'hôpital avait sûrement dû lui transmettre mon adresse internet. Et bien on ne pouvait pas faire plus poli.
- Écoute ça Win, tu vas rire, dis-je en m'adressant à ma boule de poils.

"Miss Chester,  (Ai-je encore le droit de vous appeler Nora ???)
J'espère que les fleurs vous ont plu ou du moins que je vous avez eu pitié d'elles et que vous ne les avez pas piétinées de rage. Nous sommes partis sur de mauvaises bases alors si vous me laissiez une chance de réparer les pots cassés, vous seriez vraiment charitable avec l'imbécile que je suis parfois.
Je profite de ce message pour rester malgré tout professionnel. Je vous joins une copie du protocole de l'essai clinique auquel je vais inclure le patient que vous m'avez adressé. Si vous avez des questions, je suis à votre entière disposition pour y répondre. 

Euh ... si je vous propose de prendre un café à l'hôpital avec moi demain .... vous allez encore me prendre pour un type qui se croit tout permis, et vous aurez sans doute raison ... Mais bon je tente ma chance quand même. Vous voulez bien ?????
Cordialement, 

V."



Me voilà bien avancée maintenant, j'allais passer pour une vraie mégère si je refusais et si j'acceptais, ça ouvrait la porte à toutes les fenêtres !
Ma vie était un enfer ... mais la curiosité était plus forte que le reste. J'irais donc à la pêche aux informations puisque Sam ne voulait rien me dire.


A suivre ...

jeudi 20 février 2014

La psy perd la boule

Arrivée à l'appartement, je claquai la porte tellement fort que Winston sursauta sur son fauteuil attitré. Les poils tous hérissés, il partit se réfugier dans la chambre.
Je râlais toute seule à voix haute.
- Nan mais qu'est-ce que c'est que ce docteur à la noix qui veut jouer les psy ? Il n'a qu'à s'occuper des neurones de ses patients et me foutre la paix. Je ne lui ai rien demandé d'abord à cet espèce de crétin de mec friqué qui se croit tout permis !!
Au bout de 5 minutes, Winston tenta une nouvelle approche, du genre je pointe le bout de mon nez mais si c'est miné, je décampe aussitôt. Sentant que l'orage se calmait, il osa grimper sur mes genoux pour s'installer confortablement. Je lui grattai la tête du bout des doigts, il se mit à ronronner.
- Désolée de t'avoir fait peur Win, ce n'était pas ta faute. Juste une journée pourrie dans une vie merdique, t'en fais pas, ça passera. Comme toujours ...
Il était près de minuit quand je reçus un sms incendiaire de Suzie.
"Avec ton air con et ta vue basse, tu aurais pu dire qu'IL t'intéressait. Je me suis totalement ridiculisée ce soir, je vais être la risée de tout l'hôpital. Merci bien ! Tu parles d'une copine ! grrrrrr "
Je ne pris même pas la peine de lui répondre, j'étais lessivée et en colère contre le Dr Clark. Honnêtement Suzie était le cadet de mes soucis.
Je déplaçai délicatement Winston pour le déposer sur son fauteuil fétiche. Il ouvrit un oeil et puis le referma aussitôt. Bientôt il afficherait un panneau "ne pas déranger" celui là ! Je passai une dernière fois la main sur son pelage soyeux avant de filer me mettre au lit.
Toute la nuit, je tournai et me retournai dans les draps, j'avais du mal à m'endormir. L'énervement sans doute.
Et quand le sommeil vint enfin, je fis un cauchemar avec Sam le fou qui tentait de m'étrangler sur le divan de mon bureau. Il avait des ailes noires dans le dos et des flammes luisaient dans ses yeux. Assis sur une chaise à côté, Vince Clark commentait : "Je vous l'avais bien dit que vous aviez des problèmes ! Il fallait vous confier, maintenant vous êtes foutue Nora ..."
Je me réveillai toute tremblante, avec l'estomac à l'envers.
La contrariété ne me réussissait vraiment pas. Il était 7h30, je filai sous la douche pour faire disparaître à grand renfort d'eau chaude, la sensation d'oppression qui ne me quittait pas depuis ce rêve complètement débile.
J'enfilai à la hâte un leggins gris foncé, un pull tunique blanc, une paire de baskets et mon ciré jaune. Il pleuvait toujours des cordes, nous étions mercredi et je recevrais mes patients négligée comme jamais avec les cheveux relevés en un chignon informe. J'avais décidé. Point !
Je fis mes 2 kms à pied sous la pluie jusqu'à mon bureau, j'arrivai trempée comme une soupe mais l'air frais m'avait fait du bien. J'avais besoin de me vider la tête.
Le répondeur du bureau clignotait, j'avais deux annulations pour cette après-midi. Vu le temps, rien d'étonnant, il fallait être barge pour mettre le nez dehors par un déluge pareil. Tant mieux au moins je finirais ma journée plus tôt.
La matinée s'écoula tranquillement. Pas de nouveau sms de Suzie, elle était fâchée et je m'en fichais royalement. Je savais pertinemment qu'elle était copine avec moi uniquement pour que je lui serve de faire-valoir. Il était temps de mettre un terme à tout cela, marre de me faire marcher sur les pieds et d'être la bonne copine qui tient la chandelle. Suzie pouvait croire ce qu'elle voulait après tout. Elle s'imaginait que j'avais fait de la culture physique avec son docteur mamour et bien j'allais lui laisser croire ce qu'elle voulait. Après tout pourquoi on ne me prêterait pas à moi aussi une liaison sulfureuse à l'hôpital ? Cela alimenterait les ragots pour un moment et rien que cette idée me faisait marrer ! D'ailleurs j'étais tellement contente de mettre le souk partout que je branchai la chaine hifi qui se trouvait dans un coin de mon bureau. Et je me mis à me déhancher comme une dingo sur Right as rain d'Adèle.
J'avais branché mon diffuseur d'huiles essentielles également, j'étais shootée à la lavande ! Euphorique la psy ! Méconnaissable !
Tout à coup j'entendis un raclement de gorge et un gloussement. Je me retournai. De longs cheveux noirs, une mine de bad boy, un corps immense appuyé au chambranle de la porte.
- Sam ! Encore vous ! Décidément on ne se quitte plus ! soupirai-je.
- Miss Chester ! Quel déhanché ! Franchement je suis épaté, vous êtes moins coincée que je ne l'imaginais au départ.
- Qu'est-ce que vous voulez Gérard Majax ? Vous savez que les portes et les sonnettes existent ?
Sam leva les yeux au ciel.
- Pour une fois j'ai sonné mais comme ça ne répondait pas étant donné les décibels qu'on entend depuis la rue, j'ai pris la liberté de ... enfin je suis là quoi !
- La liberté de foutre votre nez partout, oui j'avais remarqué.
Il esquissa un sourire en coin tout à fait charmant. S'il n'avait pas l'allure d'un psychopathe, il aurait même pu être tout à faire séduisant ... sans sa longue tignasse !
- Tout de suite les grands mots ! Je suis curieux, pas fouineur. Nuance miss Chester, nuance ...
- Si vous le dites. Que me vaut l'honneur de votre nième visite sans rendez-vous ?
Pourquoi n'avais-je pas peur de lui aujourd'hui ? Lui qui me foutait tant la frousse, j'ai plutôt envie de me foutre de sa figure qu'autre chose. Nora ma vieille tu disjonctes !
- J'avais envie de papoter cinq minutes. Vous ne me râlez pas après aujourd'hui ? s'étonna-t-il.
- Non, je suis trop fatiguée pour ça, dis-je en haussant les épaules.
- Vous avez fumé un pétard Miss Chester pour être aussi calme ? s'enquit-il.

Mais c'est qu'il pouvait être tordant cet animal là !
Je ne pus réprimer un fou rire qui dura un bon moment jusqu'à ce qu'à bout de souffle, je finisse en me tenant les côtes.
- Même pas ! haletai-je les larmes aux yeux.
Il me regardait comme si un martien avait pris ma place habituelle dans ce bureau.
- Miss Chester, il va falloir arrêter les huiles essentielles, ça vous monte au cerveau.
- Ah vous, ne me parlez pas de cerveau ou de neurones sinon je vous expédie chez le grand blond à l'hosto !
Il pencha la tête vers moi, incrédule.
- Bein dites donc il n'a pas tardé à mettre le bazar celui-là comme d'habitude.
- Pourquoi vous connaissez le super prétentieux Docteur Vince Clark ? demandai-je tout à fait sérieuse.
- Je dirais que j'ai plusieurs fois croisé sa route au cours des derniers siècles.
- Ah oui, j'oubliais que vous êtes toujours dans votre délire d'ange déchu. Alors il a fait quoi l'autre zigoto ?!
- Je préfère vous laisser le découvrir par vous-même, ce ne serait pas drôle sinon. Le seul indice que je vous donnerais c'est qu'il n'est pas le docteur qu'il prétend être.
- Whouah quel scoop ! Je sais très bien qu'il a eu le poste par piston et qu'il n'est pas plus compétent qu'un autre.
- S'il n'y avait que ça, ce serait du pipi de chat.
Les yeux de Sam se mirent à luire d'une drôle de façon. Je sentais l'odeur du défi à plein nez. Ces deux là devait avoir un contentieux à régler.
- Enfin vous verrez bien, on en reparlera bientôt.
- Super, vous m'êtes d'un grand secours, ironisai-je.
- Vous n'imaginez pas à quel point Miss Chester ...
Il m'adressa un clin d'oeil et se volatilisa.


A suivre ...



mercredi 19 février 2014

Mardi de dingue (3)

Vince Clark déverrouilla les portières de sa voiture. Je ne me fis pas prier pour m'engouffrer à l'intérieur de l'habitacle, la pluie avait en effet redoublé d'intensité et j'étais bien contente d'être au sec pour rentrer. Suzie m'avait jeté un de ses regards qui tuent quand elle avait compris que je levais l'ancre avec son docteur mamour.
Une mise au point rapide avec elle allait s'avérer nécessaire, mais pour l'instant, j'étais occupée à étudier le profil de mon chauffeur.
A bien y regarder, j'admets qu'il n'était pas moche du tout, mais vraiment pas mon style. D'ailleurs quel était mon style ? Visiblement je n'avais toujours pas trouvé le mien puisque j'étais toujours célibataire. Bon il y avait bien Mike, mon garagiste et ami d'enfance qui me courait après depuis le CP et avec qui j'aurais pu me caser par facilité, mais certainement pas parce-qu'il était mon grand amour. Tout au plus un sex-friend potentiel en période de pénurie amoureuse. Mike est vraiment un gentil garçon, pas vilain mais je ne l'aimais pas assez pour me lancer dans une hypothétique relation avec lui. Je préférais en rester au coup de pied dans les tibias que je lui avais balancé à 6 ans parce-qu'il me collait de trop près.
Vince conduisait plutôt bien mais un chouilla trop vite à mon goût. Je me demandais d'ailleurs s'il avait encore tous ses points sur le permis de conduire, je n'osais pas regarder le compteur de vitesse mais l'aiguille devait s'affoler. Comme tous les médecins au compte en banque bien rempli, il ne roulait pas en 2CV mais plutôt en voiture de sport. Mon Austin mini faisait pâle figure à côté de sa Lotus, et puis honnêtement un grand mec comme lui dans une mini aurait eu les genoux dans le menton. Ridicule !
- Miss Chester ? dit-il m'obligeant à sortir de ma rêverie.
Le visage légèrement tourné vers moi, j'aperçus le reflet vert de ses yeux grâce à l'éclairage public qui illumina une fraction de secondes l'intérieur de la voiture. Ces yeux là étaient beaucoup trop brillants, presque fiévreux.
Ils recelaient un mélange de confiance en soi, de séduction mais aussi une mise en garde. Un peu comme s'il y avait un écriteau lumineux qui clignotait par moment pour avertir qu'il ne fallait pas regarder de trop près sinon danger imminent !
- Oui ?
- Indiquez moi le chemin pour trouver votre rue sinon nous allons pouvoir tourner longtemps dans le centre-ville. Mon GPS ne fonctionne plus.
Reprenant mes esprits je lui indiquai mon adresse.
- 12 Milton Road. Vous prendrez la 3e rue sur la droite après le rond point et nous y serons.
Quelques minutes plus tard, il stationna son bolide devant l'entrée de mon immeuble.
- Voilà vous êtes arrivée.
- Merci Vince, c'est très aimable à vous de m'avoir reconduite jusqu'ici.
J'esquissai un sourire poli qu'il me rendit.
- Pas de souci. Si vous avez besoin de mes services n'hésitez pas à me solliciter, ce sera avec plaisir que je vous aiderai.
- Vous croyez que j'ai besoin d'un bon neuro ?! ironisai-je.
Il éclata de rire.
- Non je ne pense pas que vous ayez l'âge d'avoir besoin de moi en tant que médecin. Vos neurones ont l'air de plutôt bien fonctionner.
Oula oula oulala, pente glissante ma vieille ....
- Donc vous vous proposez en tant que taxi alors ?
Il réfléchit quelques secondes.
- Plus ou moins. Vous savez que les chauffeurs de taxi jouent les oreilles attentives pendant leurs courses, ils écoutent beaucoup leurs clients aussi bien qu'un psy parfois.
Les effluves de son parfum et l'odeur des sièges en cuir venaient me chatouiller mes narines.
- Vous croyez que j'ai plus besoin d'être écoutée que transportée ? dis-je en fronçant les sourcils.
- Pourquoi pas Nora ? Vous êtes comme tout le monde, parler ça fait du bien quand on a des problèmes.
- Donc, vous vous proposez de jouer au thérapeute de comptoir parce-que vous imaginez que j'ai des problèmes ?
- Je n'insinue pas que vous ayez de gros problèmes, pas encore tout du moins.
- Précisez votre pensée alors.
Je sentais la colère monter en moi, on allait droit au clash.
- Je dis simplement que lorsqu'on reçoit des patients parfois effrayants comme vous pouvez parfois en voir, c'est aussi bien d'en parler à quelqu'un.
- Vous êtes neurologue pas garde du corps que je sache ! 
- Ne vous emportez pas ainsi Nora, je ne voulais pas vous vexer, mais il faut parfois le reconnaître quand on a besoin d'aide.
Le pire c'est qu'il avait l'air parfaitement sérieux, il voulait me foutre la trouille ou quoi ?! Tous mes patients ne ressemblent pas à Sam le fou heureusement.
- Je gère parfaitement la pression professionnelle toute seule sans que quelqu'un vienne me psychanalyser sur mon ressenti par rapport à mes patients. Et puis, je suis peut-être seule et névrosée, avec peu d'amis, mais ce n'est pas pour ça que je vais me confier au premier venu qui me fait un numéro de charme déguisé en bon samaritain.
Merci bien mais je préfère encore marcher sous la pluie que de déballer mes états d'âme à un prétentieux comme vous ! Pauvre type !
Je sortis en claquant la portière, dans un état de fureur absolue et courus jusqu'à l'entrée de l'immeuble.
Vince Clark poussa un énorme soupir en marmonnant.
- Ca va être coton si elle n'y met pas un peu du sien. Quelle tête de mule inconsciente ! Elle ne verrait même pas si le diable en personne s'asseyait à côté d'elle pour boire le thé.
Il enclencha la première et partit en trombe.




A suivre ...


samedi 15 février 2014

Mardi de dingue (2)

Il insinuait quoi l'autre taré ? Que je suis psycho-rigide et que je ne me marre que quand je me brûle ?! Crétin d'andouille ! Il n'est pas prêt de me dérider celui là.
Je nettoyai tant bien que mal le café que j'avais renversé sur le sol avec des serviettes en papier et pris la direction de mon bureau en bougonnant.
Mon pantalon était taché, il faudrait donc que je fasse un détour par mon appartement avant de me rendre au colloque de ce soir. La journée commençait bien c'était sûr et certain.
Un homme âgé m'attendait avec sa fille, c'était mon premier rendez-vous de la matinée. A l'hôpital je faisais plus du dispatching vers les autres services que je ne menais de véritables thérapies. Généralement, je finissais par récupérer les cas qui m'intéressaient dans mon cabinet privé.
La fille d'environ 50 ans, amenait son père pour faire un diagnostic différentiel. A savoir si son père avait une dépression ou s'il débloquait complètement suite à une dégénérescence cérébrale.
Je fis passer quelques tests au vieux monsieur de 80 ans. A un moment je lui demandai de compter à rebours à partir de 20 et il me répondit " vous vous voulez que je compte en verlan quoi !"
Une évidence s'imposait ce patient était pour le fameux docteur Clark. La neurologie c'était son rayon pas le mien. Je dirigeai donc père et fille vers le service de neuro avec un petit mot griffonné à la hâte où j'insistai pour que le patient soit pris en charge rapidement.
Le reste de la journée se passa sans incident majeur. Vers 18h00 je retrouvai Winston tranquillement étalé sur le tapis de ma chambre. Je lui servis une gamelle de croquettes avant de filer sous la douche. Je mis une chemise blanche avec un pantalon fluide noir, une veste de tailleur pour habiller un peu la tenue. Ravalement de façade oblige, je fis l'effort de me remaquiller un peu pour ne pas avoir l'air aussi lessivée que je le ressentais à l'intérieur. Un taxi passa me chercher vers 19h30. La conférence qui débutait à 20h et serait suivie d'un buffet. Bref une vraie assemblée de chercheurs pique-assiettes il ne fallait pas se leurrer.
Suzie m'attendait à l'entrée de l'amphithéâtre. Elle portait une robe rouge foncé fendue sur le côté jusqu'à la cuisse, encore un atout pour attirer le mâle qui était sa cible. Avec ses cheveux blonds, on ne voyait qu'elle dans le hall. Je me fis la réflexion que si le docteur mamour finissait par tomber dans ses filets, à l'hôpital ils se feraient rapidement surnommer Ken et Barbie. J'ai toujours dit trop de blond tue le blond !
 - Rhooo tu aurais pu faire un effort et quitter ton accoutrement de bonne soeur. Je t'ai déjà dit que tes éternels pantalons noirs classiques n'attirent pas les hommes.
 - Oui sauf que je suis là pour tenir la chandelle et non pas pour me caser avec un docteur égocentrique et coureur.
- C'est comme ça que tu vois les médecins toi ? dit-elle en levant un sourcil.
- Oui surtout les blonds qui n'ont pas l'âge de diriger un service de neuro. L'est trop jeune pour ça ! Il a quoi ? 35 balais tout au plus, il a bien dû être pistonner pour avoir le poste.
- Tu dis ça parce-que tu es jalouse et que c'est moi qui vais le glisser dans mes draps.
- Pfff crois ce que tu veux ! soupirai-je en haussant les épaules.
Le docteur Clark en profita pour faire son apparition dans un complet gris anthracite bien coupé, un léger sourire aux lèvres. Il embaumait l'acqua di gio. L'eau qui rend marteau ! Ce serait un excellent slogan de pub quand on y pense ... 
Mais revenons à nos moutons, euh ... neurones devrais-je dire puisque c'est de cela qu'il devait être question ce soir durant ce maudit colloque.
Le docteur mamour de Suzie vint à notre rencontre.
- Ah vous êtes là toutes les deux ! Venez avec moi je vous ai gardé deux places au premier rang.
- Merci docteur Clark, c'est très charmant de votre part, dit Suzie d'un ton mielleux.
Pour ma part je me contentai d'un merci à peine audible. Mon amie en profita pour embarquer sa proie en passant son bras sous celui du doc comme si c'est deux là se rendaient à un bal. Je repensai soudain à une expression de ma grand-mère qui disait dans ce genre de cas "passe ton aile sous mon abattis, on aura l'air de deux volailles !"
J'étouffai un éclat de rire. Suzie ne remarqua rien toute concentrée qu'elle était sur son opération drague, mais le grand blond lui tourna la tête vers moi et me gratifia d'un sourire entendu.
Le rouge me monta aux joues. Heureusement nous arrivions en direction des places que le neurologue chéri de Suzie avait pris soin de nous garder.
Nous bavardâmes quelques minutes de la pluie et du beau temps. Suzie minaudait comme une collégienne, qu'est-ce qu'elle pouvait m'exaspérer ! Clark remarqua mon agacement et s'adressa à moi. A vrai dire il venait carrément de zapper Suzie qui monopolisait la conversation depuis le début. Peut-être qu'il était plus intelligent que je ne le pensais et qu'il ne se laisserait pas embarquer dans le piège tendu par la pédopsy qui me servait de copine.
- Au fait Miss Chester, j'ai bien eu votre message de ce matin. Je recevrai votre patient après-demain. Si les critères correspondent, je pourrais même l'inclure dans mon programme d'étude clinique. Je travaille actuellement sur l'essai d'un nouveau médicament qui tente de ralentir la dégénérescence cérébrale.
- C'est gentil à vous de le recevoir aussi vite.
Je ne savais pas trop quoi ajouter, j'étais terriblement mal à l'aise sous le regard de Suzie qui virait au bleu tempête. Si elle croyait que j'allais lui piquer son docteur mamour, elle pouvait toujours se le garder. Les blonds ne sont pas dans mes critères de recherche du petit copain potentiel !
- Je vous tiendrai au courant de l'avancée du dossier bien entendu. Ah, il est l'heure de vous laisser, c'est moi qui ouvre la conférence de ce soir. On se revoit plus tard, ne filez pas en douce !
Il partit rejoindre l'estrade, quant à moi je me fis toute petite sur mon siège. Suzie ne desserrait pas les dents. Visiblement, j'avais piétiné ses plates-bandes sans le vouloir.
Je fis le maximum pour me concentrer sur les dernières avancées scientifiques concernant la maladie d'Alzheimer mais j'avoue que j'étais fatiguée et que cela me passait carrément au-dessus de la tête. Pendant la première demie-heure le docteur Clark qui faisait son exposé, croisa souvent mon regard, mais je n'y prêtai pas réellement attention. Suzie tirait une tête de six pieds de long, j'avais envie de rentrer chez moi au plus vite. La conférence prit fin au bout de deux longues heures. Mon estomac gargouillait, je décidai donc de passer par la case buffet tant qu'il restait quelques petites choses à grignoter. Je jetai mon dévolu sur le pain surprise au fromage et sur des petites verrines bien alléchantes. Suzie était partie discuter avec des collègues, elle m'avait complètement ignorée de toute la soirée. Je n'avais pas envie de me disputer avec elle maintenant, ça attendrait notre prochaine entrevue ou ça se ferait pas répondeur interposé !
J'allais allégrement attaquer un petit chou à la crème en guise de dessert quand le docteur Clark repointa le bout de son nez.
- Alors Miss Chester, on s'empiffre de sucreries ?!
J'avais la bouche pleine de chantilly, pas très pratique pour répondre !
- Je recharge les batteries, dis-je en engloutissant la fin de mon gâteau. Sauf votre respect les conférences dans ce genre m'assomment dès la première demie-heure.
- Au moins vous avez écouté religieusement mon exposé, c'est déjà ça ! Mais pourquoi êtes vous venue si cela vous ennuie autant ?
- La tigresse en rouge qui me sert de copine m'a menacée de mort si je ne l'accompagnais pas ce soir.
- Visiblement elle vous a lâché en route, elle est à l'autre bout de la salle.
- Oh ça c'est parce-qu'elle est fâchée, ça lui passera !
- Qu'est-ce qui s'est passé ? s'enquit-il.
- Un conflit d'intérêt mal placé je dirais ...
- Mmmh je vois. Encore un crêpage de chignon à propos d'un homme je parie !
- C'est à peu près cela mais l'objet de ses fantasmes ne m'intéresse absolument pas, elle peut donc dormir tranquille.
- Encore faudrait-il que l'objet en question s'intéresse à elle également et c'est loin d'être gagné d'avance !
Il se lançait dans le message codé ou quoi ?!
Je ne voulais pas en savoir davantage, la pente devenait glissante. Je décidai de m'en sortir par la fuite.
- Sur ces bonnes paroles, Dr Clark, je vais vous laisser entre les mains expertes de vos collègues. Je suis épuisée, il est temps que je rentre.
- Vince, appelez moi Vince c'est moins guindé que le sempiternel Dr Clark.
Ouais et ça met aussi moins de distance, et toi mon coco, tu ne vas pas tarder à vouloir connaître toutes mes habitudes de vieille fille !
- Bon et bien bonne nuit Vince.
Je m'apprêtai à tourner les talons pour décamper quand il attrapa mon bras.
- Puis je vous raccompagner ? J'ai vu que vous étiez arrivée en taxi, à cette heure ci vous n'en trouverez pas facilement pour rentrer.
- Non ce n'est pas la peine vraiment ...
- Ne soyez pas autant sur la défensive, j'ai ma voiture et il pleut des cordes. Vous serez trempée en un rien de temps si vous attendez un hypothétique taxi. Et honnêtement un tailleur trempé avec des poils de chat dessus, ce n'est pas ce qu'il y a de plus élégant !
Aïe, j'avais oublié de brosser ma veste avant de partir, Winston est une plaie pour ça, il faut toujours qu'il laisse ses poils là où il ne faut pas ! Moralité, je passais pour une plouc pffff ....
 - Eh bien dites donc, vous avez des arguments de poids pour me convaincre de ne pas finir comme une serpillère.
- Vous n'avez rien d'une loque Nora, je vous le garantis.
Il se mit à rire de bon coeur.
J'avais dû louper un épisode, il était passé de Miss Chester à Nora sans que je lui donne l'autorisation de m'appeler par mon prénom. Celui là avait tendance à prendre trop de latitude.
- Bien je vous suis puisque vous insistez mais si la semaine prochaine vous trouvez mon cadavre dans mon bureau, il ne faudra pas vous étonner. Suzie sera passée par là avant !
 - N'ayez crainte je veillerai à ce qu'il ne vous arrive rien de fâcheux, dit-il avec un sourire en coin.

A suivre ...






vendredi 14 février 2014

Mardi de dingue (1)

- Suzie ! Ouh ouh ! Redescends sur terre tu veux bien !
- Hein quoi ? dit-elle à des milliards d'années lumières de là où nous nous trouvions.
- Je te disais que je partais en consultation mais visiblement tu ne m'as pas entendue. Le grand blond avec ses chaussures noires t'a mis la tête à l'envers on dirait. Si besoin, je te place en désintoxe tout de suite, ça t'évitera de souffrir inutilement à cause d'un type qui ne te regarde même pas.
-  Rhooo ce que tu peux être pessimiste Nora ! Ca ne m'étonne pas que tu n'aies que des dépressifs parmi tes patients. J'aurai bientôt ce type dans mon lit, je te le garantis.
- On ne t'a jamais dit qu'on ne mélange pas boulot et aventure sentimentale. Enfin là ce serait plus du sexe qu'autre chose ! pensais-je intérieurement.
- Je connais par coeur tes sermons de célibataire endurcie, pas la peine d'en rajouter. A ce soir je file !
Et Suzie tourna les talons me laissant comme une andouille au milieu du hall. Je n'avais même pas eu le temps de lui dire que je me rendrais au colloque en taxi puisque ma voiture était toujours en panne.
Derrière moi j'entendis quelqu'un mettre son grain de sel.
- Elle n'est vraiment pas commode votre copine !
Je me retournai aussi sec et vis Sam le fou, appuyé à la machine à café  en train de se bidonner.
Je poussai un cri d'horreur et lâchai mon gobelet sur le sol.  
- Vous m'avez suivie jusqu'ici ? bredouillai-je.
- Ne vous mettez pas dans tous vos états, je veux juste savoir à qui je vais confier mes petits secrets, dit-il en clignant de l'oeil.
Piquée au vif, la colère prit le pas sur la frayeur.
- Non mais dites donc ! Je vous ai déjà dit de prendre rendez-vous pour vos séances. Rien ne vous autorise à me suivre comme un petit chien. Continuez ce manège et je vous fais embarquer par la police. Sans oublier de déposer plainte pour harcèlement et effraction ( ça c'était pour hier et toc !)
- Miss Chester ne soyez pas si susceptible. Je ne voulais pas vous froisser, tout au plus faire une plaisanterie. Je peux vous appeler Nora au fait ?
- Me froisser ?! Je rêve ! Depuis hier vous avez manqué de me faire avoir une crise cardiaque et je devrais prendre ça avec le sourire ?! Et puis on a pas gardé les vaches ensemble !
Dégagez de là ou j'appelle la sécurité ! aboyai-je rouge de colère.
Toutes les personnes qui se trouvaient dans le hall, s'étaient figées pour nous observer. La honte totale !
Sam s'approcha de moi. Toujours de sa démarche chaloupée qui voulait dire grosso modo, j'en ai rien à foutre de ce que pensent les autres et je suis beau gosse.
Je n'allais pas me laisser impressionner par ce mec complètement timbré alors je me tins bien droite et levai le menton pour le regarder dans les yeux. Il réduisit encore l'espace entre nous.
- Vous êtes sans doute compétente dans votre domaine et j'adore les femmes en colère. Il se pencha vers moi.
Je ne vous lâcherai plus, susurra-t-il à mon oreille.
Ce mec était antipathique au possible, j'avais envie de lui couper les cheveux au sécateur tellement il m'agaçait. Le seul truc qui n'était pas désagréable chez lui c'est qu'il sentait bon. Un parfum assez enivrant auquel je n'avais aucun mal à résister cela dit.
- Mais bien sûr ! Vous vous croyez tout permis et irrésistible en plus. Je n'aiderai pas quelqu'un comme vous. Pour les dingues c'est le service de psychiatrie lourde dans l'aile Est de l'hôpital. Vous dépassez mes compétences, votre cas n'est pas de mon ressort. Et la sortie c'est par là-bas ! dis-je en pointant du doigt les portes vitrées coulissantes.
 - Aucun humour Miss Chester, il faudra y remédier. J'aime les grands défis de ce genre ! A bientôt sur votre divan si moelleux, je préfère l'intimité de votre bureau de toute façon.
Il me gratifia d'un sourire narquois et pouf, il disparut.
Mais qu'est-ce que c'était que cette manie de jouer à Houdini ?! Il ne peut pas sortir comme tout le monde, par la porte ! 

A suivre ...

mercredi 12 février 2014

Le petit nouveau

Je poussai un ouf de soulagement et laissai tomber parterre calepin et crayon. Ce type m'avait flanqué une frousse de tous les diables ! Je ne sais pas par quel tour de passe-passe, il était parti aussi vite qu'il était venu mais j'étais bien contente qu'il ait vidé les lieux.
Avec tout ce bazar j'en avais oublié ma patiente de 11h00 qui venait de sonner à l'interphone. Mon thé était froid et je n'avais qu'une envie,  rentrer chez moi, me faire couler un bain et qu'on me fiche la paix.
Mais bon, mes patients avaient besoin de moi, il fallait tenir jusqu'en milieu d'après-midi et je pourrais mettre les voiles.
J'écoutai donc religieusement les âmes en peine qui vinrent me voir, cela dit, j'eus tout de même beaucoup de mal à me concentrer sur leurs névroses et autres soucis existentiels. J'avais frôlé l'agression c'était sûr et certain ! Je priais le ciel pour que ce type ne remette jamais les pieds dans mon cabinet sinon j'appellerais les flics sur le champ.
A 16h00 pétantes, j'avais de nouveau enfilé mon ciré jaune et partis de nouveau affronter les éléments. Lundi de merde ! ruminais-je intérieurement.
De frustration, je passai chez mon pâtissier préféré pour m'acheter un sucré. Je l'avais bien mérité sachant la trouille que j'avais ressentie. Un bon cheesecake au citron, que du bon pour le moral en dépit des calories que ce morceau de gâteau pouvait receler. A vrai dire je m'en foutais littéralement, j'avais la chance de pouvoir ingurgiter tout ce que je voulais sans jamais prendre un gramme.
Ma copine Suzie me dit toujours que je suis écoeurante comme nana de ce point de vue là. Forcément, dès qu'elle regarde une vitrine avec des pâtisseries, elle prend déjà au moins 1 kg sans avoir mangé une seule bouchée de ces petites merveilles colorées et douces au palais !
Mon appartement se situe à 2km de mon bureau, pas très loin en voiture mais un vrai supplice à parcourir à pied quand il pleut des cordes et que votre voiture est en panne depuis une semaine. Mon garagiste est doué mais jamais pressé de travailler, c'est bien parce-que c'est un ami d'enfance que je ne change pas de crèmerie.
A 17h, je franchis enfin la porte de mon antre que je claquai avec d'un bon coup de pied.
Winston, mon chat, un magnifique chartreux, vînt m'accueillir en se frottant contre mes bottes. Ce matou est une mine de quiétude à lui tout seul, je l'adore même si certains jours, je le maudis de faire des confettis avec le papier peint de ma chambre et de laisser des poils sur mes fringues.
Mon répondeur clignotait, deux messages étaient enregistrés. Un de ma mère qui s'inquiétait sans cesse de mon état de célibataire chronique.
Comment fais-tu à 30 ans pour ne pas encore être casée ma chérie ?! Je ne comprends pas, me serine-t-elle au moins 3 fois par semaine.
L'autre message était de Suzie.
Salut c'est moi ! N'oublie pas que demain soir il y a un colloque sur la maladie d'Alzheimer à l'Université et que tu m'as promis de m'accompagner. Ne me fais pas le coup de me lâcher à la dernière minute sinon je te zigouille ! Bisous ma poulette. A plus tard !
J'adore Suzie, elle est pétillante, toujours de bonne humeur et a un don fabuleux pour m'entraîner à faire des trucs qui me pompent l'air royalement. Alzheimer ! Je ne bosse pas en gériatrie moi !
Bref en bonne célibataire de 30 ans, je pris un bon bain chaud, dînai d'un bol de soupe et de mon cheesecake, et me mis au lit avec un bon bouquin.
La journée avait été éreintante, je m'endormis comme un bébé en tâchant de mettre Sam le fou de côté pour huit bonnes heures de sommeil.

Le mardi était ma journée consacrée aux consultations que je donnais à l'hôpital de Cambridge. J'y retrouvais donc toutes les semaines mon amie Suzie qui travaillait là bas en tant que pédopsychiatre.
Comme toutes les semaines, j'avais droit au résumé des potins hospitaliers, entre les liaisons des uns et des autres, les ruptures et autres nouvelles du même acabit, impossible de s'ennuyer.
 - Dis donc pourquoi tiens-tu tellement à m'embarquer à ce colloque sur la maladie d'Alzheimer ? Ce n'est pas dans ton service que tu vas rencontrer ce genre de pathologie !
 - Tu sais très bien qu'il faut toujours se tenir au courant des dernières découvertes scientifiques !
- A d'autres ! C'est quoi ces conneries ? En dehors de tes cas d'enfants qui font pipi au lit ou en grande difficulté scolaire, et au pire atteints d'une maladie grave, Alzheimer c'est pas ton rayon que je sache !
 - Bon ok je suis grillée. Retournes-toi et regarde au bout du couloir qui arrive vers nous.
- Le grand blond là bas ? C'est qui ? dis-je en haussant les épaules.
- Le nouveau chef de neurologie, un apollon du cerveau, un dieu des neurones, beau à tomber et ... surtout fraîchement célibataire !
- Je comprends mieux le pourquoi du comment du colloque. Quelle chipie tu fais !
- Affiche ton plus beau sourire cocotte, je vais te présenter au docteur, dit-elle en faisant un clin d'oeil.
Le grand blond s'approcha de la machine à café où nous nous trouvions.
Suzie devînt rouge comme une pivoine en s'adressant à lui.
- Bonjour Docteur Clark, pépia-t-elle !
- Ah Docteur Collins, comment allez-vous ?
- Bien merci. Je vous voudrais vous présenter une collègue et amie qui travaille ici, Nora Chester.
 Le blondinet se tourna vers moi pour échanger une poignée de main conventionnelle. Cela dit l'oeil vert et le sourire en coin façon carnassier me laissa plutôt destabilisée.
 - Ravi de vous rencontrer Docteur Chester.
- Ah non pas docteur, simple psychologue. Nous ne jouons pas dans la même cour ! rétorquai-je.
Il éclata de rire.
- Nous avons tous à apprendre des autres spécialités, il ne faut pas être sectaire ! Bon je vous abandonne, j'ai des malades à voir.
Il fit quelques en direction de l'ascenseur et se retourna en ajoutant.
 - On se voit au colloque ce soir. Je vous garde des places ! dit-il en souriant.
Puis il s'engouffra dans la cabine sans attendre notre réponse.
Suzie était littéralement ébahie par son dieu cérébral, moi je restai plutôt dubitative sur l'idée que je devais me faire de ce docteur mamour à la sauce british.

A suivre ...


mardi 11 février 2014

Démon sur canapé

La semaine avait débuté comme un lundi sous la pluie, un temps à ne pas mettre un orteil dehors et pourtant, il fallait bien rejoindre mon cabinet où les patients défileraient une bonne partie de la journée.
Installée depuis maintenant 3 ans en tant que psy, j'avais une patientelle  régulière qui n'aurait pas toléré que je la laisse avec ses angoisses et autres phobies même pour une journée.
Courageusement, j'avais donc enfilé un chemisier lilas, un tailleur jupe noir, des bottes assorties et un imperméable digne d'un marin breton ! Bon noir et jaune, j'avoue que cela faisait un peu abeille sur les bords mais les psychologues ne sont-ils pas réputés pour être un peu loufoques aussi ?!
Je mettais un point d'honneur à ne pas avoir l'air d'une thérapeute coincée, il était déjà bien assez difficile d'aider les autres à régler leurs problèmes sans que j'ajoute de la grisaille à mon apparence aussi.
J'arrivai donc à mon bureau, détrempée comme un chat passé au karcher. Autant dire que je ne ressemblais plus à grand chose malgré ma bonne volonté. Mon parapluie rose s'était retourné au premier carrefour que j'avais traversé, bref je n'étais pas à prendre avec des pincettes.
Malgré tout, je devais honorer mon premier patient de mon plus beau sourire, le but étant de donner un peu de réconfort et de ne pas enfoncer davantage le dépressif chronique que je suivais depuis 18 mois. Ah, ce brave monsieur Peters ... un veuf de 56 ans qui ne se remettait toujours pas de la mort de sa femme survenue 10 ans plus tôt. Tellement triste qu'il pourrait faire pleurer un régiment entier de commandos parachutistes. Comme à chaque séance, une boîte entière de mouchoirs jetables allait y passer.
 Je devrais peut-être songer à prendre des actions chez kleenex ?!
 Après les 30 minutes hebdomadaires de monsieur Peters, j'enchaînai avec madame Franklin qui, elle, tentait tant bien que mal de se défaire d'une addiction au jeu. Ses après-midi au casino avaient souvent raison de sa pension de retraite.
Je me demandais d'ailleurs comment elle trouvait encore le moyen de me régler le prix de ses séances de thérapie. Non seulement elle était une joueuse invétérée mais aussi, en plus d'être un panier percé, une remarquable cancanière qui ne manquait pas de me tenir au courant des derniers potins circulant dans tout Cambridge. Heureusement que les séances n'excédaient pas la demie-heure sinon j'y aurais passé la journée et bu un nombre incalculable de mugs de thé pour garder les yeux ouverts. Mme Franklin est adorable mais un chouilla assommante, il faut bien l'avouer !
Dix heures sonnèrent quand je raccompagnai Mme Franklin à la porte de mon cabinet. Il était l'heure de ma pause. Je me rendis dans la pièce réservée à mon usage privé, une sorte de cuisine miniature, afin de me préparer du thé. J'en profitai pour consulter mon téléphone portable, un nouveau message était arrivé sur mon répondeur. Ma prochaine patiente venait d'annuler sa séance de 10h30. J'avais donc une heure à tuer. Je sortis de la cuisine avec ma tasse à la main, quand je me retrouvai nez à nez avec un inconnu dans ma salle d'attente.
Mon mug faillit voler tellement je ne m'attendais pas à ce que quelqu'un ait pu pénétrer dans le cabinet sans avoir sonné à l'interphone. J'étais pourtant persuadée de bien avoir refermé la porte derrière Mme Franklin. Étrange et perturbant !
Je tentai donc de reprendre contenance quand ce grand type s'est levé de sa chaise. Un mètre quatre-vingt-dix tout en muscles, des cheveux longs d'un noir de jais, et des yeux aussi foncés que du charbon qui vous transpercent en un seul regard. Misère, il foutait la trouille  !
J'avais bien fait un stage de 4 semaines dans un hôpital psychiatrique de la périphérie de Londres mais aucun des patients que j'avais pu y croiser ne m'avait foutu les chocottes de cette façon. Je n'étais pourtant pas un nain de jardin mais là je me sentais aussi petite qu'une souris. J'allais jouer la diplomatie ce serait plus sage que de râler comme une hystérique si je voulais qu'il dégage vite fait bien fait.
- Monsieur, puis-je vous aider ? Nous n'avons pas rendez-vous me semble-t-il.
- Oui et non.
Punaise, ça commençait bien ! Ce serait pas mal de jouer à ni oui-ni non, sinon ce soir j'étais encore campée là !
- Puis-je vous demander quel est le but de votre visite ?
- Faire une thérapie. C'est ce qui est écrit sur votre plaque non ? Vous êtes bien psychologue  / psychanalyste et vous pratiquez aussi l'hypnose ? 
- Euh ... oui bien sûr, mais mes compétences sont à votre service uniquement sur rendez-vous.
S'il continue à me regarder comme ça en me donnant l'impression qu'il va me mordre, je vais faire pipi dans ma culotte ! Mais c'est qui ce con là ?!
 - Eh bien la prochaine fois je prendrai rendez-vous ! En attendant, vous n'avez pas de patient, votre salle d'attente vide en atteste, alors j'aimerais discuter maintenant.
Et zou sans demander la permission, le voilà parti d'un pas de félin en direction de mon bureau. Il s'installa directement sur mon divan, les jambes croisées, comme s'il était chez lui ! Je rêve !
Où est-ce que j'avais mis ce putain de spray au poivre ? Je sais qu'il est quelque part dans mon bureau en cas d'agression mais où ???? Surtout ne pas paniquer !
Je m'installai donc sur mon fauteuil habituel, proche du canapé.
Logiquement le patient ne me voyait pas mais là on aurait dit qu'il avait des yeux dans le dos ! 
Je frissonnai mais empoignai tout de même un stylo et mon calepin afin de prendre des notes.
 - Comment vous appelez vous ? murmurai-je.
- Est-ce bien nécessaire que vous le sachiez ? rétorqua-t-il.
 - Oui, insistai-je.
- Comme il vous plaira ! Vous aimez quoi comme prénom ?
Je hurle ou je reste calme là ? Il se moque du monde ce type.
 Sentant mon agacement, il ne me laissa pas le temps de répondre.
 - Sam, pour vous ce sera Sam.
Je soupirai.
- Bien. Poursuivons. Pourquoi venez-vous me voir, Sam ?
 - J'en ai assez de faire le mal, je déprime.
- Pouvez-vous clarifier votre pensée ? dis-je en ayant un peu de mal à déglutir.
 - Je suis à la solde du méchant gars à la queue fourchue depuis des milliers d'années et j'en ai marre. Je veux récupérer mes ailes. J'étais un mec bien ... avant ...
 - Là je crois que vous n'êtes vraiment pas bien, vous avez effectivement besoin d'aide.
Sont où les infirmiers avec la grande chemise qui s'attache dans le dos bon sang ?!
Il se pencha sur le côté du canapé, et me toisa plutôt ravi de son effet.
 - Je savais bien que vous alliez me prendre pour un dingue mais je n'en suis pas un et je vous le prouverai bientôt.
Il me fit un clin d'oeil accompagné d'un espèce de sourire étrange.
Je baissai les yeux trois secondes pour écrire en gros sur son dossier : patient délirant.
Je relevai le menton. Sam avait disparu.

A suivre ...