vendredi 19 décembre 2014

Entretien divin

J'aurais voulu trouver les mots justes pour une telle situation mais tout était si confus. Comment savoir quoi faire ou quoi dire quand il me manquait une partie des informations de base ? Même une séance d'hypnose avec Vince aurait été inutile dans mon cas puisque le Patron verrouillait tout. Ma formation de psy ne m'était d'aucune aide non plus. Pour le moment, je ne pouvais compter que sur mon instinct de survie et mon intuition. En même temps, l'instinct de survie ne me servait pas à grand chose non plus puisque j'étais déjà morte depuis un bout de temps.
Le soleil commençait à décliner dans le ciel. Je ne sais combien de temps j'avais passé à caresser les cheveux de M tout en réfléchissant comme lorsque je passais la main dans le pelage de Win. Nous avions fini par nous asseoir par terre, il avait posé sa tête sur mes genoux et le silence était tombé en même temps que le jour. Tout à coup, j'aperçus Raphaël qui venait de se poser au bout de la terrasse. Quelque chose me disait que c'était le début des ennuis. Il s'approcha tellement doucement que M, perdu dans ses pensées lui aussi, ne s'était pas rendu compte de son arrivée.
- Nora ?
Je relevai la tête. M poussa un grognement d'ange des cavernes avant de se mettre debout. Je me levai à mon tour.
- IL veut te voir tout de suite, annonça Raphaël.
Je pris une grande inspiration.
- Je m'en doutais. J'arrive.
M me barra le passage.
- Elle n'ira pas toute seule, je viens aussi, dit-il en s'adressant à Raphaël.
Ce dernier fit non de la tête.
- IL veut lui parler seul à seule. Attends ici, je viendrai te prévenir quand ce sera fini.
- C'est hors de question et tu sais que c'est inutile d'insister.
M. il a entendu tout ce que tu as fait, tu as dépassé les bornes. C'est pour cela qu'il veut s'entretenir uniquement avec elle. IL décidera de ton sort plus tard.
- Je n'en attendais pas moins de Lui. Il est normal que je réponde de mes actes mais peux-tu m'accorder une minute avec Nora s'il te plait ?
Raphaël hocha la tête et se mit à l'écart à l'autre bout de la terrasse.
M. posa ses deux mains sur mes épaules et me fit face.
- Nora, je t'en prie, je sais que tu as la langue bien pendue alors ne joue pas avec le feu. Écoute patiemment ce qu'il te dira, prends ton temps pour répondre quand il te posera une question.
Je haussai les épaules.
- Je devrais réussir à m'en sortir.
- Ne le sous-estime pas, ce n'est pas parce-que c'est Dieu, celui qui est censé être rempli de bonté qu'il va forcément être gentil avec toi. Il est capable de tout, il a un caractère épouvantable parfois.
- Pire que le vôtre ? ironisai-je.
- Encore plus susceptible et entêté que moi, c'est dire !
- Pfiou j'en fais mon affaire, j'ai eu des patients pires que Lui.
M secoua la tête.
- Nora, je te le répète, fais très attention, tu prends les choses trop à la légère.
- Dites donc, c'est vous qui m'avez mise dans le pétrin et c'est moi qui devrais avoir peur ? Elle est bien bonne celle-là !
M leva les yeux au ciel d'agacement et me cloua le bec par un baiser. Nan mais oh il aurait pu me demander mon avis quand même ! Je dois bien admettre que c'était un baiser plus qu'agréable mais je ne lui donnerais pas la satisfaction de le lui dire. Comme si j'allais m'extasier devant un mec qui m'avait envoyée au feu pour me garder avec lui toute l'éternité. Je savais bien que la jalousie faisait faire des conneries, mais à ce point c'était extrême.
M scruta mon regard pour y déchiffrer ce que j'avais pu ressentir.
- Aucun souvenir ne te revient je parie, dit-il déçu.
C'était quoi cette manie du test du baiser d'ailleurs ?! Je vous jure ...
- Non et puis c'est bien la première fois que je me fais embrasser par un chat ! ajoutai-je pour clore le débat.
M éclata de rire.
- Au moins même si tu me détestes pour ce que j'ai pu faire, tu n'as pas perdu ton sens de l'humour.
Il remit une mèche de mes cheveux derrière mon oreille tout en observant mon visage comme s'il voulait le graver pour toujours dans sa mémoire.
- Je ne sais pas si je dois vous détester ou vous faire embarquer chez les dingues, ou même vous gratouiller le ventre parce-que j'aimais Win et qu'il a été un animal de compagnie tendre, patient et dévoué. Une chose reste certaine, je ne perds jamais mon humour, juste la raison de temps à autre, mais je me soigne ! Bon, ce n'est pas que je m'ennuie mais ON m'attend.
Une minute de plus et j'aurais été capable d'avoir un geste tendre pour lui, il ne le fallait surtout pas. Pas maintenant. Pas tant que je n'avais pas toutes les cartes en main. Déjà que j'étais tombée dans un syndrome de Stockholm à l'insu de mon plein gré pendant 400 ans, inutile d'en rajouter.
Je m'écartai de M pour rejoindre Raphaël. M ne put s'empêcher de me dire une dernière chose alors que j'avais le dos tourné et que je m'éloignais de lui.
- Nora, souviens-toi que je t'aime !
Ce à quoi je répondis avec désinvolture malgré un pincement au coeur.
- Je tâcherai de ne pas l'oublier, s'IL m'en laisse l'occasion. Quant à partager le même sentiment, c'est une autre histoire ...
J'agitai la main sans me retourner en signe d'au revoir ou d'adieu, allez savoir ...
Raphaël m'accueillit avec un léger sourire mais il semblait préoccupé. Il me prit par la main et nous nous dématérialisâmes. Cette fois pas d'ascenseur mais je me retrouvai malgré tout au dixième niveau.
Raphaël m'escorta jusqu'au bureau du Big Boss. Un détail m'intriguait.
- Qu'y a-t-il au huitième et neuvième niveau au fait ? le questionnai-je.
- Bah la cantine et la discothèque qu'est-ce que tu croyais ? me fit-il avec un clin d'oeil.
Je pouffai malgré le sérieux de la situation. Quel pince sans rire celui-là ! J'imaginais mal Uriel ou le Patron en train de se déhancher sur une piste de danse. Et puis d'abord, puisque nous étions tous morts quel était l'intérêt de manger ou de danser ? Aucun ! Encore des bobards, il faudrait que j'interroge M ou Sam à l'occasion pour en savoir plus.
- Pas trop nerveuse ? me demanda mon ancien instructeur.
- Morte de trouille serait plus approprié, soufflai-je alors que nous arrivions devant une nouvelle double porte en bois massif.
- Ne t'en fais pas, il ne va pas te manger.
- Je me doute bien qu'il donne les anges déviants en pâture à Lucifer au lieu de les servir en sushis au réfectoire !
Raphaël ne put s'empêcher de rire.
- Je ne me rappelais plus à quel point tes répliques à deux balles m'avaient manqué.
- Je vais le prendre comme un compliment même si je ne suis pas certaine d'avoir envie de me tordre de rire.
Raphaël reprit son sérieux assez vite malgré tout.
- Prête ?
- Absolument pas ! Mais bon, je ne vais pas Le faire attendre davantage.
La porte s'ouvrit.
- Je t'attends ici, dit-il en m'envoyant une tape dans le dos.
Je me faisais l'effet d'une vache qu'on amène à l'abattoir, je traînais des pieds.
Je me retrouvai au milieu d'une plateforme grande comme une cathédrale, aucun mur, juste un ciel de traîne jauni, un peu de la couleur qui précède une averse de grêle.
Une grosse voix raisonna à mes oreilles mais je ne vis personne.
- Nora Elizabeth Chester ! tonna-t-il.
Whouah en plus du reste, il comptait aussi m'exploser les tympans, ça commençait bien !
- Oui ? répondis-je avec une voix de souris en me retournant de tous les côtés, mais je ne voyais personne. Devais-je dire monsieur ou mon Dieu quand je m'adressais à lui ?! Je n'y connaissais rien du tout en protocole céleste moi !!!
- Pourquoi es-tu venue retrouver M sans avoir été convoquée ?
- Je voulais des réponses à mes questions.
- Tu aurais dû attendre que je t'appelle à moi. Tu n'es donc pas heureuse de ta nouvelle vie sur Terre ?
Je réfléchis un instant.
- Jusque là, elle était plutôt fade et sans saveur cette nouvelle vie. Et puis Vince et Sam ont fait leur apparition et les événements se sont précipités.
- Je vois. Mais ne peux-tu donc pas te contenter de rester avec des questions sans réponse ? Certains y parviennent très bien.
- Oui mais pas moi surtout quand on me demande de faire un choix et qu'on m'a caché des tas de choses.
- Dis toi que c'est pour une raison d'Etat ! ironisa Dieu.
- Et puis quoi encore ? Ca vous amuse M et vous de jouer les Men in black avec moi et de m'effacer la mémoire quand ça vous arrange ? J'en ai assez d'être manipulée.
- Je comprends, mais parfois il n'est pas bon de remuer la boue. M s'est très mal conduit, j'en conviens, et si j'avais su le fin mot de l'histoire avant aujourd'hui, il aurait été puni depuis très longtemps. Tu en as eu l'exemple avec Sam qui t'a séduite sous sa forme humaine. Il a été châtié comme le règlement le prévoit.
- Ah oui, vous avez autorisé qu'on lui arrache les ailes, c'était une véritable punition, presque une mise à mort. Mais vous parlez de M comme d'un gamin immature que vous allez mettre au coin. Y'aurait-t-il deux poids, deux mesures chez vous ?
Je sentis la plateforme trembler sous mes pieds.
- Le fait de te renvoyer sur Terre équivalait en effet à le mettre au coin pendant 30 ans et à te donner une seconde chance de vivre une existence normale.
- Vous m'avez surtout écartée parce-que je faisais de l'ombre aux membres du Conseil pas pour le reste. Et en plus, vous ne l'avez pas surveillé beaucoup puisqu'il a joué au chat gardien !
- Toi ? De l'ombre au Conseil ?! Petit ange insignifiant ! Ne va pas t'imaginer un pouvoir que tu n'as pas, à part celui de mettre la tête de mon archange le plus puissant à l'envers, tu n'es pas capable de grand chose d'autre. Pour ta gouverne, sache que je lui fais entièrement confiance même à l'heure actuelle, c'est un homme d'honneur et il est loin d'être aussi insensé que tu l'imagines. Il n'a pas fait arracher les ailes de Sam pour rien, tu n'étais pas l'unique motif de cette décision.
- C'est à dire ? m'exclamai-je.
- Sam fricotait aussi un peu trop avec le côté obscur de la force si tu vois ce que je veux dire. Il n'a pas été déchu juste pour une amourette avec une humaine. Alors si M. a profité de la situation, il n'est pas seul coupable dans l'histoire.
- Comme il est facile de charger un absent !
- Nora, il est tout aussi facile d'accuser sans savoir, rétorqua Dieu.
- Alors donnez-moi une explication rationnelle au fait que M n'ait pas hésité à me faire tuer pour m'avoir.
- De ce que j'ai compris M est amoureux, il t'a plutôt fait cadeau de l'éternité.
- Dites donc c'est un peu tiré par les cheveux votre raisonnement !
- Nora, savais-tu qu'un ange ne se conduit jamais de la même manière ici et sur Terre surtout quand il habite de nouveau un corps humain. Il a eu les mêmes pulsions que lorsqu'il était un homme bien vivant, excessif et impulsif.
- Vous excusez donc son comportement ?
- Non je ne l'excuse en rien, je tente de t'expliquer le décalage entre son comportement d'alors et la suite où finalement, tu as plutôt eu l'air de te plaire en sa compagnie.
- Imaginez vous bien que si j'avais su que c'était lui qui avait commandité ma mort pour emmerder Sam et lui faire perdre ses ailes par jalousie, j'aurais réfléchi à deux fois avant de lui tomber dans les bras.
- En dépit de tout cela, tu l'as aimé.
- Oui bein c'est vous qui le dites, rendez-moi mes souvenirs que j'en juge par moi-même ! Je ne vous fais pas confiance !
- Nora douterais-tu de ton Dieu ? gronda-t-il.
- Euh ... oui ! On ne peut pas dire que vous ayez des méthodes très catholiques !
M profita de ce moment pour débarquer pendant que je me faisais remonter les bretelles par le Big Boss.
- Nora, tais-toi je t'en supplie, arrête de le provoquer, il va t'envoyer en Enfer comme il l'a fait pour Sam !
J'étais exaspérée de l'ingérence de tout le monde dans mes affaires.
- Dites donc tous les deux, une petite minute ! Qui a arraché les ailes de Sam et qui l'a envoyé en Enfer ?
- Les ailes c'est moi, avoua M. Pour le reste, c'est Lui ! dit-il en pointant l'index vers le ciel.
Dieu commença sérieusement à se mettre en pétard.
- Métatron, je t'avais formellement interdit de venir ici pendant mon entretien avec Nora. Tu auras beau faire, tu ne pourras pas la protéger de tout. Tu paieras pour tes erreurs mais elle assumera seule son impertinence et sa légèreté.
Le Patron s'adressa à nouveau à moi sur le ton des mauvais jours.
- Qu'es-tu donc venue revendiquer ici Nora Chester ? Une place d'archange au Conseil, récupérer tes souvenirs, faire punir lourdement M, venger Sam ? Et le mal que tu as fait toi à Vince ? Tu n'es pas la blanche colombe que tu imagines Nora Chester ! Tu les voudrais bien tous les trois sans avoir à choisir, je sais lire dans ton esprit. Ton problème c'est que tu es incapable de faire un choix tranché et tu rejettes la faute sur Moi.
Celle-là je ne l'avais pas volée, j'avais fait du mal à Vince et le pire c'est que je continuais. Même avec ma nouvelle vie sur Terre, je n'avais pas fait mieux que la première fois. Mais insinuer que je voulais ouvrir un harem, fallait pas abuser non plus !
- Monsieur, mon Dieu, ou choisissez le terme que vous voudrez, je suis psychologue et je navigue tous les jours dans la fange cérébrale des humains alors sachez que non, je n'ai rien d'une blanche colombe, j'ai mes failles aussi, j'en suis consciente. Et ange ou pas, j'ai le droit de remettre votre jugement en question tout Big Boss que vous êtes !
Si M avait pu me bâillonner, je crois qu'il n'aurait pas hésité à me mettre un triple couche d'adhésif sur la bouche pour me faire taire. Un orage se préparait au paradis, j'avais mis le Patron en rogne.
- Nora, tu veux récupérer tes souvenirs ? C'est parfait tu les auras, mais tu auras un prix à payer.
- Lequel ?
- Tu ne veux pas de la vie paisible que j'ai choisie pour toi alors soit, je te rends tes souvenirs. En contrepartie, tu es nommée Haute Responsable à la Gestion des Créatures Obscures résidant sur Terre, tu auras des comptes à me rendre régulièrement. Par ailleurs, je te laisse une année entière pour décider du sort de M mais pendant cette année, il sera ton conseiller pour t'aider à remplir ta mission. Tu pourras voir s'il mérite que tu lui arraches les ailes toi-même ou si tu es capable de pardon. Tu verras ainsi combien il est difficile de décider du sort d'autrui.
Je faillis m'étrangler en entendant la sentence divine. Et Dieu finit de m'achever avec un dernier détail.
- Si tu échoues dans la mission que je t'ai confiée, tu n'auras aucune chance de revenir dans mes bonnes grâces, tu iras directement loger chez le grand cornu avec ce traître de Sam. Maintenant, disparaissez tous les deux ! Du balai !
Je sortis de chez le Patron dans un état second, ce qui ne m'a pas empêchée de l'entendre bougonner dans sa barbe "mais quelle emmerdeuse celle-là !"




A suivre ...



dimanche 14 décembre 2014

Avalanche d'informations

Non seulement je venais d'avaler de travers mon cookie mais en plus, je n'en croyais pas mes oreilles ! M et moi ??? Non il y avait forcément une embrouille quelque part ! Comment aurais-je fait pour passer 400 ans avec lui avec tout ce qui s'était passé ? Moi qui me défendais bien d'être une écervelée volage, là j'avais dépassé les bornes des limites ! Je n'avais donc qu'un pois chiche dans la boîte crânienne, de la sauce blanche en guise de neurones ?!
- Tu sembles déstabilisée Nora, dit-il doucement.
- Il y a de quoi ! Je viens pour des explications musclées, limite une déclaration de guerre et vous me recevez avec le thé pour me balancer dans la figure qu'on a partagé le même lit pendant 400 ans. Pardonnez-moi de vous le dire mais là, ça craint !
- Écoute, détends-toi un peu. Je vais te faire visiter les lieux pour que tu te réappropries l'espace et puis nous dînerons tranquillement sans la horde sauvage du cinquième niveau.
- Mais je ne veux pas dîner, je veux des réponses bon di..  bon sang, pardon !
Je m'étais raccrochée aux branches, ce n'était pas le moment de me mettre le Boss à dos en l'insultant, il devait avoir les oreilles partout celui-là.
M leva les yeux au ciel.
- Ne t'inquiètes pas, tu auras tes réponses en temps voulu.
- Pas dans cent ans j'espère ! ronchonnai-je.
- Je tâcherai d'être plus rapide que cela, mais par pitié arrête de me vouvoyer, j'ai l'impression d'être un étranger pour toi et c'est insupportable.
Je fronçai les sourcils et vis se dessiner à vue d'oeil, sur le visage de M, une immense contrariété.
- Ne me demandez pas l'impossible, pour l'instant, vous êtes un étranger et un danger potentiel.
La colère gagna les poings de M, il les serra fortement à s'en faire blanchir les jointures. Visiblement, je l'avais mis en pétard mais contre toute attente, la colère ne dura pas longtemps. Ou alors il était très bon comédien.
- Je saurai te faire changer d'avis, dit-il avec un clin d'oeil.
Je haussai les épaules mais il fit semblant de ne pas le remarquer.
- Suis-moi, ajouta-t-il.
J'embarquai un autre cookie double chocolat pour la route - entre nous, ils étaient à tomber ces biscuits - et lui emboîtai le pas. Nous sortîmes du bureau ovale pour rejoindre le fameux couloir glauque, au bout de vingt mètres, dans un recoin peu éclairé, se trouvait une petite porte dérobée. Il passa la paume de sa main devant un mini scanner et la porte s'ouvrit automatiquement. Finalement, le paradis était à la pointe de la technologie, ce n'était pas aussi poussiéreux et archaïque que je l'imaginais. Il s'écarta pour me laisser passer la première. J'étais face à l'entrée d'un appartement feutré, la moquette rouge foncée, épaisse, étouffait le bruit de mes pas.
- Entre, fais comme chez toi, dit-il à mon oreille.
Cette phrase faisait terriblement cliché, j'avais l'impression de jouer dans un film à l'eau de rose. Cela dit, en toute franchise, l'acteur principal du jour n'était pas du tout désagréable à regarder... Bon d'accord, autant avouer qu'il était sacrément bien foutu ! Nora, ma vieille tu t'égares, ressaisies-toi !
Je le pris aux mots et accrochai mon coupe-vent à la patère qui se trouvait près de l'entrée. Il faisait une chaleur agréable et mon manteau commençait à me gêner.
Je m'aventurerai dans la première pièce à ma droite. Il s'agissait d'un immense salon aux murs couleur crème, avec de larges baies vitrées donnant encore là aussi une vue directe sur le soleil et les nuages. L'éclairage y était plus doux que dans le bureau, plus intime. Une agréable odeur de lavande embaumait la pièce. Je promenais ma main sur le dessus du canapé en cuir beige, puis sur le piano à queue noir qui se trouvait non loin de la cheminée. Tout ressemblait à un logement classique décoré avec goût. Est-ce que j'étais déjà venue ici auparavant ? Je ne saurais le dire. M restait en retrait pour m'observer à loisir, je sentais son regard me suivre dans tous mes gestes. Je me retournai un instant pour le fixer, il esquissa un sourire, il me sembla alors terriblement humain pour vivre dans un endroit pareil malgré son immortalité. Nora ne te laisse pas attendrir, il n'attend que ça !
Je ressortis du salon, en face il y avait une vraie cuisine. Je me demandais si M savait faire à manger, j'imaginais mal un archange supérieur derrière les fourneaux mais bon pourquoi pas ? En tablier, caleçon, et ... Rhooo !!!! Nora t'as pas fini de te faire des films, refroidis tes hormones tu veux ?!
- Tu as faim ? me demanda-t-il. Je peux te préparer quelque chose si tu veux.
- Non merci. Plus tard peut-être.
Je quittai la cuisine afin de poursuivre mon périple. Plus loin sur la gauche, je tombai sur une très grande salle de bain au sol de marbre, douche à l'italienne, ainsi qu'une baignoire assez grande pour tenir à deux dedans.
Je me rendis enfin dans la dernière pièce. Une chambre lumineuse avec un lit d'au moins deux mètres de large, des couvertures et coussins dans les tons ivoire. Un cadre attira mon attention sur une des tables de nuit qui encadraient le lit. Je m'approchai pour voir qui se trouvait sur cette photo. J'en restai sans voix lorsque je réalisai que  M et moi étions enlacés et nous embrassions. J'avais la preuve en image à moins qu'il n'ait utilisé un trucage pour me déstabiliser. C'est vrai quoi un tour de photoshop et on pouvait transformer ce que l'on voulait !
M était appuyé au chambranle de la porte, il me regarda encaisser la photo en silence, il devait s'attendre à l'explosion qui allait suivre lorsque je mis mon nez dans le dressing. D'un côté ses affaires à lui, costumes chics, chemises, cravates et de l'autre, des vêtements féminins à ma taille, dans mes coloris préférés, des chaussures à ma pointure. Des robes, des chemisiers, des froufous, des talons hauts, tout y était !
Je sortis du dressing pâle comme la mort mais ce fût le coup de trop lorsque je m'aperçus que ma bouteille de parfum se trouvait sur la coiffeuse à côté d'une autre photo où manifestement je le regardais avec amour comme la huitième merveille du monde.
J'allai m'asseoir sur le lit, la tête me tournait.
M vint s'installer près de moi, il me prit la main doucement.
- Nora, je sais que c'est sans doute difficile à avaler pour toi, mais il te fallait des preuves. Je ne suis pas le monstre que tu imagines même si je ne suis pas toujours fier de ce que j'ai pu accomplir.
Tu es ici chez toi Nora, c'est notre "chez nous". J'ai tant espéré ton retour, maintenant que tu es là, je ne sais plus trop par où commencer, j'ai tellement de choses à te révéler que j'ai peur ... peur de te perdre pour toujours.
Je relevai la tête et rencontrai ses yeux dorés.
- Je promets d'écouter jusqu'au bout tout ce que vous aurez à me dire. Je ne peux rien promettre d'autre, dis-je avec un pincement évident au coeur.
M poussa un soupir à fendre l'âme. Il se leva et alla ouvrir la porte fenêtre de la chambre.
- Viens discuter avec moi sur la terrasse quand tu seras prête, je t'attends.
Il me fallut bien cinq bonnes minutes pour me remettre d'aplomb, le choc avait été rude et je me préparais, j'en étais certaine, à entendre des choses qui allaient dépasser l'entendement.
Lorsque je le retrouvai dehors, M avait tombé la veste de costume et desserré sa cravate. Il était assis sur un fauteuil de jardin en teck, un verre d'alcool à la main. Les rayons du soleil jouaient avec la couleur de ses cheveux blonds cendrés. Il avait un profil bien dessiné, presque l'équivalent d'une gravure de mode à l'exception près qu'il avait l'air tendu et tourmenté. Je pris le siège près du sien.
- Tu en veux un ? dit-il en montrant son verre.
- Non merci, je vais attendre encore un peu avant de prendre une nouvelle cuite, j'ai encore mal à la tête à cause de la précédente.
M éclata de rire.
- Tu n'as jamais tenu l'alcool !
- Merci bien, vous êtes le troisième à me dire ça aujourd'hui, répondis-je agacée.
Bien, je vous écoute, videz votre sac !
- Nora tu es sûre de vouloir tout savoir ? implora-t-il.
- Oui !
Il souffla pour se donner du courage, passa une main dans ses cheveux et se jeta à l'eau.
- En 1679, tu as fait la connaissance de Sam suite à une tentative d'agression par Van Helsing. A l'époque il était courant que les femmes se fassent trousser sans leur consentement. Sam était ton gardien et il est normal qu'il soit intervenu pour te sauver. Maintenant je vais te révéler la première chose qui va te faire bondir.
Il venait de capter toute mon attention.
- Van Helsing est mort en 1600 et il n'est jamais revenu sous la forme d'un immortel. J'ai pris son apparence pour descendre sur Terre lorsque je m'ennuyais ici. Je n'étais pas du tout le même homme qu'aujourd'hui, j'agissais comme un rustre.
Mon sang venait de se figer dans mes veines. M reprit son récit.
- Lorsque Sam est venu te sauver, j'ai vu rouge. Je te voulais rien que pour moi. Il ne savait pas qui j'étais, il me prenait pour un simple humain, partisan de la chasse aux sorcières. Tout comme Vince dont je me suis servi par la suite. La première fois que je t'ai aperçue, j'ai ressenti une pulsion presque animale, il fallait que tu sois à moi par tous les moyens. Sam s'était interposé, il allait payer. J'ai fait en sorte que le Conseil l'éloigne de toi pendant un certain temps. J'ai cru qu'il obéirait et qu'ainsi j'aurais le champ libre pour t'approcher. Il n'en a rien fait, il est passé outre les ordres. Je me suis donc servi de Vince pour enfoncer le clou en lui faisant croire à ton infidélité et en le laissant décider de votre sort. D'une, je me débarrassais de Sam qui allait perdre ses ailes et de deux, je me débarrassais également de Vince puisqu'il t'avait lui même envoyé sur le bûcher par désespoir. De mon côté, j'avais bien calculé mon coup. J'ai tout fait pour que ton âme soit reconnue innocente de ce dont on l'accusait, tu n'avais jamais pratiqué la sorcellerie. D'ailleurs, Sam a largement plaidé pour toi avant qu'on l'envoie faire un tour dans les lymbes.
M. but une gorgée de whisky. De mon côté, je naviguais quasiment dans la quatrième dimension.
- Une fois que tu es arrivée ici, comme tu as été déclarée morte en martyre, j'ai obtenu l'autorisation de faire de toi un ange. J'ai effacé tes souvenirs pour que tu oublies Sam et Vince, je voulais que tu aies une image objective à propos de moi. Je me rends bien compte combien le procédé que j'ai employé est abominable. Parfois je me fais l'effet d'un monstre, je m'en veux chaque jour de t'avoir fait vivre 400 ans dans le mensonge. J'ai veillé à ce que Raphaël t'assure une formation correcte d'ange gardien, mais même si tu étais toujours dans les parages et que je te croisais régulièrement, ce n'était pas suffisant. Alors je t'ai donné une promotion et tu as été affectée au service du Conseil des cinq, beaucoup plus près de moi. De fil en aiguille, je t'ai rencontrée plus souvent, tu es quasiment devenue mon assistante personnelle. Un lien plus tendre s'est créé au fil du temps, j'ai obtenu ta confiance, ton respect, ton estime et ton amour aussi. Tu m'as tout donné avec un tel abandon Nora que je n'ai pas eu le courage de t'avouer les conditions sordides dans lesquelles tout avait débuté. Quand le Conseil a su que nous étions ensemble, beaucoup n'ont pas été d'accord et ce d'autant plus que j'avais proposé ta nomination à un poste d'archange. Je voulais que tu fasses partie de Conseil avec moi. Nous étions tellement fusionnels que cela me paraissait naturel de t'avoir tout le temps avec moi. Mais cette fois, le Big Boss n'a pas été de mon avis, il trouvait que je négligeais mes obligations, que je m'étais ramolli. J'avais moins la hargne, j'étais amoureux ...
Pour me ramener dans le droit chemin, c'est lui qui a décidé avec une partie du Conseil de t'effacer à nouveau tes souvenirs et de te renvoyer sur Terre pour un lapse de temps indéfini histoire que je comprenne où était l'essentiel dans mon rôle d'archange. Ils n'ont pas compris combien tu étais vitale à mon existence, quand ils t'ont renvoyée en bas, je n'ai pas pu le supporter bien sagement sans rien faire. Alors je suis descendu aussi souvent que je le pouvais pour être près de toi.
- Sous la forme de Van Helsing ? demandai-je.
- Pas seulement. Van Helsing ne pouvait pas se trouver aussi près de toi que je le voulais alors j'ai pris une autre forme pour être avec toi le plus souvent possible, dit-il.
J'avais beau réfléchir, je ne voyais pas dans la peau de qui il avait pu se mettre.
- Tu ne trouveras jamais, c'était assez tordu comme idée mais ça a bien fonctionné. Depuis 8 ans maintenant, je partage toutes tes nuits.
- Je savais bien que je connaissais vos yeux, j'ai tout de suite reconnu cette couleur particulière sans pouvoir malgré tout la rattacher à quelqu'un.
- C'est normal que tu ne trouves pas, tu cherches parmi les humains.
Je réfléchis quelques secondes et tout à coup, mes neurones firent connexion.
- Vous avez pris l'apparence de Win ???!!! m'écriai-je.
M. fit un large sourire accompagné d'un clin d'oeil.
- Bien joué ! J'adore quand tu me grattouilles le ventre et le dessus de la tête mais ça ne vaut pas les câlins d'avant ! Cela dit, je m'en suis contenté jusqu'à ce matin, je n'avais pas le choix. Le plus important c'était de pouvoir veiller sur toi même de loin. Tu ne soupçonnes pas à quel point j'ai pu être malheureux sans toi, ne pas pouvoir te toucher, t'embrasser, sentir ton parfum, voler dans les nuages avec toi. J'ai été puni pour tout le mal que j'ai pu te faire, et je l'ai bien mérité. Maintenant tu as oublié à quel point je t'aimais et tu ne vas retenir de moi que l'image d'un monstre manipulateur. Pourtant si tu savais combien nous avons été heureux ensemble, tout serait peut-être différent ... Si seulement le patron voulait bien te rendre tes souvenirs, tu pourrais juger en toute connaissance de cause.
M. posa son verre, se leva et vint s'agenouiller devant moi.
- Nora, je t'en prie, pourras-tu un jour me pardonner ? dit-il en me suppliant du regard.
Il semblait si malheureux et dévasté qu'il m'en arracha des larmes. Je ne savais même pas pourquoi je pleurais, il avait l'air tellement sincère que mon estomac se noua. J'étendis la main pour caresser ses cheveux comme je l'aurais fait avec le pelage de Win... Je ne savais plus ce que j'étais sensée ressentir, de la haine, de la peine, du dégoût, du soulagement de l'avoir retrouvé. Non je ne savais plus, j'étais larguée ...

A suivre ...











dimanche 7 décembre 2014

Septième niveau

Mais qu'est-ce que j'en avais marre de ces montées interminables ! Les bureaux du Big Boss étaient donc sans limites ? Tout à coup je me demandai comment j'allais m'y prendre avec Métatron, je n'avais préparé aucun discours, j'étais partie les mains dans les poches comme une touriste ! Je fermai les yeux quelques secondes pour tenter de me concentrer sur la tactique à adopter.
Ding ! Lorsque j'ouvris les paupières, je me retrouvai nez à nez avec Van Helsing. Oh non ! Le cerbère de service ! Manquait plus que celui là !
Ce type, avec ses cheveux et ses yeux gris, me donnait systématiquement froid dans le dos.
- Miss Chester ! Quel plaisir de vous revoir ... Je ne vous attendais pas si tôt ici, dit-il sur un ton mielleux.
- Moi non plus ! répliquai-je sèchement.
- Vous en avez eu marre de vos deux zigotos ?! Remarquez depuis le nombre d'années qu'ils s'accrochent à vos basques, je ne suis pas étonné que vous ayez eu besoin d'air. Avec eux, c'est toujours la même rengaine j'imagine ?!
- Je crois bien qu'il me manque un sacré pan de mémoire pour pouvoir vous répondre. Vous comptez me faire poireauter dans l'ascenseur pour le reste de l'éternité ou vous allez me laisser passer ? lançai-je sarcastique.
Il s'écarta du passage et je me retrouvai face au même genre de couloir qu'au cinquième niveau.
- Je ne suis pas votre ennemi Miss Chester, vous vous méprenez sur mes intentions.
- Attendez deux secondes que je me rappelle ce que j'ai lu dans mon journal. Ce n'est pas vous qui avez essayé de me violer en 1679 et qui m'avez fait plonger dans les flammes en 1680 ?! Espèce de barjot sadique !
- C'est de l'histoire ancienne tout cela, vous avez la rancune tenace Miss Chester.
- Désolée mais pour moi, ce sont des nouvelles tout ce qu'il y a de plus fraîches et je suis loin de vous avoir à la bonne. Maintenant, dîtes-moi où est M ?
- Il m'a chargé de votre accueil, il sait que vous êtes là.
Bah voyons, c'est "radio chiottes" ici, on sait tout ce qui se passe à la vitesse de l'éclair !
- Forcément dans cet endroit, il n'y a que moi qui ne sache rien et qu'on prend pour la débile de service. Est-ce que j'ai l'air d'une blonde écervelée ?! grognai-je.
Van Helsing parut décontenancé.
- Loin de là Miss Chester, vous êtes une charmante brune intelligente. Hum ...
 Veuillez me suivre je vous prie.
Je t'en ficherais moi de la charmante brune, espèce de psychopathe au costard Armani taillé sur mesure !
Je lui emboîtai le pas et je parvins encore devant une lourde double porte.
La plaque dorée indiquait M . Et bien au moins, il n'y avait pas à se tromper, j'étais au pied du mur.
Un battant s'ouvrit tout seul.
- Après vous Miss Chester, dit Van Helsing.
J'allais me retourner pour lui signifier qu'il pouvait se prendre sa galanterie à deux balles et se la mettre là où je pense, mais il avait déjà disparu. J'étais déçue mais il ne perdait rien pour attendre cet affreux. Je m'attendais à nouveau à une salle de réunion glauque. Au lieu de cela, je débouchai sur une espèce de réplique du bureau ovale de Washington avec des tapis moelleux au sol, des fauteuils plus qu'accueillants, une théière fumante et des biscuits déposés sur une table basse. Il n'y avait pas de mur, tout était vitré avec vue directe sur les nuages et le ciel bleu.
M était de dos, il regardait le paysage au dehors, les bras croisés dans le dos tel Napoléon, il avait plutôt la carrure d'un général en pleine réflexion qui se tâtait ou non à engager une bataille. Le soleil donnait dans la pièce, M. n'était qu'une ombre dans la lumière. Il ne se dégageait aucune tension palpable, je ressentais dans ce lieu un calme presque familier. Combien de temps avais-je passé ici auparavant ? Mystère ...
Je fis quelques pas pour me rapprocher du bureau qui nous séparait, j'hésitais à briser le silence. Mon coeur battait plus vite que de raison. Gestion du stress Nora, bon sang, gestion du stress !
- Bienvenue à la maison Nora, dit-il d'une voix douce.
Hein ?! Quoi ?! Il ne me vole pas dans les plumes ? Pas d'éclair ? Pas de tonnerre ? Mais c'est qui ce mou du genou ? Il va me le jouer gentil en plus ??? J'ai dû me tromper d'étage c'est pas possible !!!!
- Euh ... merci, marmonnai-je.
- J'attendais ce moment depuis longtemps, je suis heureux que tu sois rentrée de toi-même.
- Visiblement, vous êtes bien le seul à être content de ma venue, répliquai-je.
M n'avait pas bougé, il était toujours à contre-jour à regarder le soleil par la fenêtre. Pour ma part, toute cette lumière m'agressait, j'allais bientôt me retrouver avec les yeux larmoyants à force de fixer son dos dans la lumière. Je ne distinguais même pas la couleur de ses cheveux. Je mis ma main en visière pour me faire un peu d'ombre mais ça ne changeait pas grand chose.
M. émit un rire léger.
- Pourquoi serais-je mécontent de ton retour ? continua- t-il sur le même ton agréable.
- Soit j'ai été mal informée, soit j'ai loupé un épisode mais c'est vous qui avez décidé de ma fin en 1680 et c'est aussi vous qui m'avez renvoyée sur Terre pendant les 30 dernières années parce-qu'il parait que je mettais le bazar ici ?
- Nora, j'admire ta technique de psy, tu prêches le faux pour savoir le vrai.
- C'était aussi une technique efficace pendant l'Inquisition, vous ne croyez pas ?! lançai-je ironique.
- Au moins, tu n'as pas perdu ton sens de l'humour pendant toutes ces années.
Je me frottai les yeux, cette lumière m'aveuglait tellement que j'avais envie de les fermer et d'opérer en aveugle. Comment faisait-il pour la supporter ? Ca devait être un truc d'archange !
- Vas t'asseoir sur le divan Nora, tu seras plus à ton aise, la trop forte clarté n'a jamais réussi à tes jolis yeux.
Mais enfin pourquoi était-il aussi sympa avec moi ? Il avait des remords ou quoi ?!
J'obtempérai et allai m'asseoir. M. claqua des doigts et les vitres se teintèrent, voilà qui convenait beaucoup mieux à ma rétine. Il se retourna enfin et vint à ma rencontre d'une démarche féline. Il portait un costume gris anthracite, chemise blanche, cravate noire, très chic, plus le style d'un homme d'affaires que d'un archange supérieur. Ses cheveux blonds vénitiens coupés courts tranchaient avec la couleur de sa veste.
Au moins, tous les anges n'avaient pas les cheveux aussi longs que Sam, un bon point pour lui, sa tignasse ne m'agacerait pas pendant tout notre entretien !
M s'assit près de moi sur le divan. Il se pencha vers la table basse et retourna les deux tasses, et tout en s'emparant de la théière, il continua la conversation.
- Un thé léger, un seul sucre, c'est bien ça ? s'enquit-il.
- Bien ... euh ... oui, bredouillai-je. Il savait aussi comment je prenais mon thé ??
M étouffa un rire léger face à ma surprise. Il se tourna vers moi pour me tendre la tasse et je croisai enfin son regard de plus près. Il avait les yeux jaunes dorés pailletés de vert. Ces yeux là ne m'étaient pas inconnus, je les avais déjà observés ailleurs mais où ? Nom de Zeus, où avais-je déjà croisés ces yeux là ? Ils m'étaient familiers, sûre et certaine ! Rhooo Nora, fais fonctionner ton cerveau, tu débutes un alzheimer ma parole ! J'étais persuadée de les avoir vus récemment, et ce n'était pas une réminiscence du passé. Pour le coup, Vince m'aurait été très utile, c'était le moment d'avoir un avis de neurologue expérimenté.
- Alors, qu'est-ce qui t'a poussée à revenir plus vite que prévu ? dit-il en s'installant confortablement dans le divan.
- Je ne vous apprends rien si je vous dis que Vince et Sam ont été les deux éléments déclencheurs. Depuis deux semaines, je découvre des choses hallucinantes tous les jours et à force de tenter de démêler le sac de noeuds dans lequel je suis, j'ai fini par remonter la piste jusqu'à vous.
M. hocha la tête, but une gorgée de thé et reposa sa tasse. Il se tourna vers moi le bras étendu sur le haut du canapé.
- Et tu es donc venue chercher des réponses. Je te sens nerveuse d'ailleurs. Aurais-tu peur de ce que tu vas découvrir Nora ? dit-il en me fixant de ses yeux perçants.
- Pour être totalement honnête, j'en ai assez que tout le monde me mente, je ne sais plus à qui me fier, répondis-je alors que le rouge commençait à me monter aux joues. Oups ! Nora ! Laisse tes hormones au placard tu veux ??!!
-
Je comprends ta position, tu es comme une biche poursuivie par des chasseurs dans un bois, une proie désorientée et vulnérable.
Je plongeai le nez dans ma tasse pour ne pas lui dire qu'il avait raison, mais il avait parfaitement évalué mon problème.
Comme je ne disais rien, il poursuivit.
- Qu'attends-tu de moi ?
- La vérité sans fioriture sur ce qui s'est passé avant ma mort, sur mon séjour ici, sur mon nouveau départ en bas. Tout quoi ! Mais pour commencer, j'aimerais bien que vous me disiez pourquoi tout le monde me tutoie ici, je trouve ça assez déplacé alors qu'on a pas gardé les vaches ensemble tout de même.
M rit de bon coeur.
- Entre anges, personne ne s'encombre du vouvoiement, hormis avec le Patron bien entendu !
- Mmmm, bien sûr cela va de soi ... marmonnai-je.
- Pour revenir à tes autres questions, j'aurais préféré que tu découvres les choses pas à pas avec un oeil neuf et un regard objectif mais je sens que tu ne m'en laisseras pas l'occasion, pas vrai ?
- Il y a des chances que ma patience soit en effet très limitée, répliquai-je sèchement.
M approcha son visage du mien. Je tentai de rester impassible.
- Avant que je te révèle tous les détails y compris les plus sordides, sache que nous avons passé toi et moi, depuis ta mort jusqu'à ta descente sur Terre, 400 longues et heureuses années ensemble.
- Pardon ???? m'écriai-je.
- Visiblement, cette information n'a pas été relayée par Sam et Vince. Ils me donnent tous les deux, le rôle de l'affreux méchant mais ils ne savent rien de notre vécu en tant que couple.
Je manquai de m'étouffer avec le cookie que j'étais en train de grignoter. Celle-là, je ne l'avais pas vu venir !


A suivre ...









jeudi 4 décembre 2014

Aux portes du ciel

Quelques heures plus tard dans mon appartement.
- Maman ? ...
Pas de réponse. J'essayai un peu plus fort. Win se faufila entre mes pieds.
- Maman ?
Toujours rien.
- Lilaaaaaa !!!!!!! Mère indigne, espèce d'ange à deux balles !!!! Vas-tu ramener tes ailes ici vite fait ?!
Dorénavant, je ne comptais plus donner dans la délicatesse avec elle. Pour le peu d'aide et de tendresse qu'elle m'avait apportée, je n'avais pas à prendre de pincettes.
- Comment ça ange à deux balles ???? Non mais dis donc jeune fille, tu veux que je te botte les fesses à coup de fouet céleste ?! Ton joli popotin aurait de chouettes brûlures ! dit-elle avec un sourire narquois.
- Ah ! Enfin ! J'ai failli attendre, m'exaspérai-je. Ton sonotone est en panne ou quoi ?!
Pour toute réponse, j'obtins un grondement sourd. Quelque chose me disait qu'elle avait envie de me voler dans les plumes depuis une éternité !
- Que veux-tu Nora ? claqua-t-elle.
Je mis directement les pieds dans le plat.
- Je veux aller là-haut ! dis-je en désignant le ciel de l'index.
Énorme soupir.
- Tu crois quoi jeune écervelée ?! Que tu peux monter quand l'envie te prend juste pour aller te balader ?
- De toute façon, je vais être convoquée tôt ou tard. Je ne fais que devancer l'appel.
- Mmm ... Et tu comptes faire quoi là-bas ? s'enquit-elle.
- Ah parce-qu'en plus, il faut un motif pour rentrer au bercail ! Génial !
Je soufflai bruyamment.
Si tu veux tout savoir, j'aimerais m'entretenir avec Métatron.
Lila éclata de rire !
- Et puis quoi encore ?! Un entretien avec le Big Boss aussi ?
Je levai le regard vers elle, très sérieuse.
- Si c'est nécessaire, pourquoi pas !
Lila marmonna pour elle-même :
- Elle est dingue, complètement barge, suicidaire, bonne à enfermer ! Et dire que c'est elle la psy ! Je rêve !
- Dis donc Lila, tu n'es pas obligée de faire comme si nous n'étions pas dans la même pièce toutes les deux.
Elle plissa les yeux, et afficha une fois de plus son petit sourire narquois qui m'agaçait tant.
- Très bien, si tu tiens tant que ça à provoquer la colère du Conseil des Cinq et à te prendre la correction de ta vie par Métatron, c'est avec une joie non dissimulée que je vais t'accompagner !
Lila émit un rire presque diabolique à l'idée que je me fasse démolir.
Je donnai un dernière caresse à Win avant de décoller.
Ma fausse mère me prit par la main et nous nous dématérialisâmes.

Finalement, le paradis n'est pas du tout comme on l'imagine avec les nuages et les séraphins qui jouent de la lyre. D'abord les séraphins sont très loin des petits angelots joufflus au sourire enfantin, ils sont aussi sympas que des trolls, donc pas très commodes. Moi qui m'attendais à un accueil teinté de chaleur et de douceur, c'est comme si j'étais tombée sur un rassemblement de dames pipi acariâtres qui font passer un contrôle de douanes ! Que de la balle, vas-y Nora serre les fesses et souris poliment !
-
C'est à quel sujet  ? demanda une des miniatures célestes dodue à souhait.
Lila se racla la gorge et me lança un regard par en dessous qui en disait long sur son impatience.
- La demoiselle voudrait s'entretenir avec M, répondit-elle ironiquement.
- Vous croyez qu'il n'a que ça à faire ?! M ne reçoit que sur rendez-vous pris à SON initiative.
Lila leva les yeux au ciel.
- Je sais tout ça trésor, mais la demoiselle insiste ...
Le séraphin commença à s'agiter devant son pupitre.
- Et pourquoi donc ? Elle se croit au-dessus du panier la petite dame ?! Elle a peut-être une langue pour parler d'ailleurs, dit-il en me toisant méchamment.
Je me redressai, limite au garde à vous.
- Identité, date de décès, je vous prie ! articula-t-il.
- Chester Nora, morte en 1680.
Le séraphin fit mine de consulter ses fichiers sur son ordinateur. Et tout à coup des bips bips retentirent.
- Vous êtes cette Nora là ????
Je haussai les épaules d'incompréhension.
- Passez votre main sous le scanner que je vérifie que vous êtes bien celle que vous prétendez être.
Je posai ma main sur un rectangle vitré froid. Un rayon vert passa trois fois sous ma paume.  Pendant ce temps, Lila se limait les ongles, à croire qu'elle n'avait que ça à faire dans un moment pareil.
Je me retins de siffloter pour cacher mon malaise.
- Misère ! C'est bien Elle !!!! lâcha le séraphin.
Je l'imaginais bien avoir la goutte de sueur froide en plein milieu du dos, juste entre ses toutes petites ailes dorées.
- Alors est-ce que je peux le voir ou pas ? hasardai-je.
- Un instant s'il vous plait, dit-il complètement affolé. Visiblement, il ne savait plus du tout où il campait. Le séraphin se précipita vers ses collègues en plein bavardage céleste. Tout à coup, un grand silence tomba, toutes les bouilles rondes des angelots se tournèrent vers moi, pleines d'incrédulité. Puis ils se retournèrent et formèrent un cercle serré. On aurait dit une mêlée de rugby ! Ca sentait limite le complot, moi je vous le dis ! 
Après plusieurs minutes de concertation, Séraphin 1er revint vers nous.
- Je vais prévenir que vous êtes là, souffla-t-il en déglutissant avec peine.
Il prit une sorte de téléphone portable transparent avec d'infimes précautions, composa un numéro et visiblement la personne qui l'obtînt à l'autre bout de l'appareil n'était pas plus ravi que cela de ma présence. Séraphin 1er écarta le combiné de son oreille tant son interlocuteur se déchaînait.
Je perçus des bribes de conversation du style "Comment ça Elle est là ? Et Elle veut Le voir ?! Elle va encore semer la zizanie dans le Conseil !!! etc, etc ..."
Visiblement et sans mauvais jeu de mots, je n'étais pas en odeur de sainteté ici. C'était la meilleure de l'année !
Après avoir frôler une explosion du tympan gauche, Séraphin 1er nous montra un ascenseur, enfin l'engin tenait plus d'une plateforme en verre trempé, et nous dît de monter au cinquième niveau. Lila ne cacha pas son envie d'être ailleurs. Elle paraissait très mal à l'aise tout d'un coup. Son envie de me voir me faire remettre en place lui avait passé assez rapidement tout compte fait. Cette ascension jusqu'au niveau cinq sembla durer une éternité.
- Tu sais chez qui on va ? lui demandai-je.
- Pfff ... il faut vraiment tout te dire à toi ? Tu ne peux pas faire fonctionner ta mémoire un petit peu ?!
Je plissai les sourcils.
- Dois-je te rappeler qu'on m'a effacé tous mes souvenirs avant de me faire descendre sur Terre ? répondis-je sèchement.
Lila rit de bon coeur.
- La bonne excuse !
Ding !! Nous étions arrivées à destination.
Je me retrouvai face à une double porte géante avec un écriteau doré sur lequel était inscrit "CONSEIL DES CINQ - NE PAS DÉRANGER".
Lila me donna une bonne tape dans le dos. Je me retournai furieuse.
- Désolée, mais c'est ici que je t'abandonne, je tiens à garder mes ailes encore quelques siècles !
Et pouf, elle s'éclipsa. Quelle bourrique !
Bon et bien puisque j'étais là, je ne pouvais plus faire demi-tour. Je commençais à me sentir aussi nerveuse que Séraphin 1er mais il ne fallait rien laisser paraître.
Nora, bon sang, souviens-toi de ce séminaire sur la gestion du stress. Ca disait quoi déjà ?? Nulle que j'étais, c'était moi qui avais donné cette conférence et je ne me souvenais de rien. Fabuleux ! Alzheimer ça commence comme ça en plus !
Je n'eus même pas le temps de gratter à la porte qu'un des battants s'ouvrit en grinçant. Ils pourraient huiler les gonds quand même, que fait la maintenance ici ?! Elle se roule les pouces !
Je pénétrai dans un long couloir plutôt sombre. Honnêtement, je pensais que les couloirs du Ciel étaient plus lumineux que cela, on se croirait dans un immeuble de bureau assez sinistre. Je débouchai sur une sorte de salle de conférence avec une table ronde en pierre au centre . Pour un peu, il ne manquait plus que le roi Arthur et ses chevaliers ! Il n'y avait pas âme qui vive. J'attendis quelques instants, toujours personne. Je pris la liberté de m'asseoir sur l'un des cinq fauteuils en cuir qui me tendaient les bras. Impertinente que j'étais !
Je venais à peine de poser mon popotin qu'un colosse blond se matérialisa sur le siège opposé.
- Que viens-tu faire ici Nora ? dit-il d'une voix caverneuse.
Je me redressai sur mon siège.
- A qui ai-je l'honneur ? pépiai-je.
- Ah oui c'est vrai, l'amnésique de service c'est toi ! Si Michel savait que tu te trouves dans son fauteuil, il ferait vilain.
Je fis un sourire timide.
- Pour ta gouverne, je suis Uriel, archange supérieur du Conseil. Je réitère donc ma question. Que veux-tu ?
- Parler à Métatron.
- On ne prononce jamais son nom sans y avoir été autorisé. C'est le bras droit du Big Boss et pour le commun des mortels et des autres anges, c'est M.
Et on ne dérange jamais M, c'est lui qui convoque, pas l'inverse. Repars d'où tu viens, s'il veut te voir, tu le sauras bien assez vite.
Je croisai les jambes et me mis en mode psy qui ne se laisse pas impressionner.
- Et vous pensez que j'ai fait tout ce chemin pour repartir sans l'avoir vu ?!
- Je te conseille de ne pas insister, tu pourrais y perdre tes ailes et finir au purgatoire. Demande à Sam, je suis sûr qu'il serait ravi de te raconter comment ça a chauffé pour son matricule.
Uriel posa ses grosses mains au-dessus de la table.
- Il n'est pas très bavard à ce sujet, il m'en parlera bien s'il le veut un jour ou l'autre.
- Quel est ton intérêt de venir provoquer M de la sorte ?
- Je ne suis pas venue le provoquer, je voudrais avoir des explications concernant ma mort, mon amnésie, mes 30 ans de vie terrienne sous surveillance pendant lesquels on m'a laissée dans l'ignorance. Et je sais que M est derrière tout cela. Ce que je voudrais savoir c'est pourquoi ?
- On t'a renvoyée sur Terre à cause de tes bons et loyaux services.
- Bah voyons ! A d'autres ! aboyai-je.
- Hum hum ... émit une voix.
Je me retournai sur mon siège et fis face à un grand brun bien bâti, mâchoire carrée et volontaire, il portait un survêtement de sport. Rien à voir avec la toge et les ailes blanches auxquelles on s'attend avec un archange.
- Raphaël, ne te mêle pas de ça ! tonna Uriel.
- Et pourquoi donc ? répondit calmement le nouvel arrivant.
- Ce ne sont pas tes affaires !
- Désolé, mais si ! Je me suis opposé à sa éviction sur Terre ! lâcha Raphaël.
Elle a le droit de savoir pourquoi vous l'avez fichu dehors.
J'étais assez décontenancée par le tour que prenait la conversation.
Je les interrompis.
- Alors pourquoi m'a-t-on ramenée en bas enfin ? insistai-je.
Raphaël posa un regard gentil sur moi.
- Très chère, ils t'ont virée par un vote à main levée à trois contre deux, parce que tu foutais le bordel dans le Conseil !
Je m'étranglai avec ma salive.
- Pardon ???
Uriel tapa du poing sur la table.
- Boucle-la Raphaël ! gronda Uriel.
- Bah quoi ? Tu ne vas pas dire que vous n'étiez pas en pétard, Michel, Gabriel et toi parce-que Nora était devenue la petite chouchou de M et qu'il voulait en faire une archange ?
Je comprenais de moins en moins l'histoire, j'étais sur le point de perdre le fil !
- Hop hop hop ! Pouce les gars ! m'écriai-je.
Uriel me lança un regard noir et Raphaël resta avec une phrase assassine pendue au bout des lèvres.
Je décidai de ne plus m'encombrer de circonvolutions.
- Écoutez-moi bien, ce n'est pas que je m'ennuie avec vous deux, notre discussion est d'ailleurs fort instructive, mais ce n'est pas vous que je suis venue voir. Où se trouve M ?
- Tu n'iras nulle part hormis au rez-de-chaussée pour repartir chez toi ! vociféra Uriel.
Le colosse blond s'était levé d'un bond, son fauteuil recula et alla s'encastrer dans le mur avec violence.
Et bien, ce n'était pas peace and love au royaume des cieux !
Raphaël lui barra le passage avant qu'il ne vienne me tordre le cou. Je demandais si l'homicide volontaire entre anges était puni par la loi divine ?!
- Ascenceur 7e niveau ! Dépêches-toi Nora, je vais le retenir autant que possible ! Cours !
Je pris mes jambes à mon cou et détalai comme un lapin. Et dire que j'étais un ange et que je ne savais même pas voler ! Fabuleux !
Par chance, la plateforme en verre trempée m'attendait bien sagement alors que je percevais des éclats de voix et des bruits de bagarre dans la salle du Conseil.
Raphaël avait raison sur un point, en un rien de temps, j'avais mis le bazar alors que je venais juste d'arriver.
- Septième  niveau, articulai-je toute essoufflée d'avoir couru.
L'ascension débuta et mon humour à la con de psy reprit le dessus. Septième niveau ... septième ciel ... euh ... Métatron serait -il l'archange des galipettes ??!!
Honte à toi Nora ! Tu ne respectes vraiment rien !!! 
A suivre ...